CHRONIQUES
LA GUERRE DU RENSEIGNEMENT 1939-1945
Loin de l’image véhiculée par les romans ou les films d’espionnage, le renseignement est l’un des aspects encore trop méconnu mais pourtant essentiel, de tout conflit armé. Si son importance est avérée dès les guerres de l’Antiquité, ce n’est qu’au XXe siècle que de grands services spécialisés se structurent véritablement, aussi bien au sein des États totalitaires que dans les grandes démocraties occidentales. La Seconde Guerre mondiale constitue à cet égard un moment décisif dans l’histoire du renseignement.
Soldats de la Luftwaffe transmettant un message via la machine Enigma
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les guerriers de l’ombre s’affrontent à l’échelle de la planète toute entière y compris sur le territoire des États neutres, afin d’être sans cesse en mesure de communiquer aux décideurs militaires et politiques les éléments nécessaires pour enticiper les actions de l’adversaire. Connaître les intentions de ce dernier tout en veillant à protéger ses propres renseignements, distiller à bon esceint des informations erronées afin de conduire l’ennemi à sa perte, telles sont en effet quelques unes des principales missions assignées aux organismes chargés du renseignement entre 1939 et 1945. Dès lors, les moyens comme les méthodes employés font une large place à l’inventivité et s’appuient sur la duperie, voire même sur l’illégalité, dans un contexte de secret absolu. Churchill se plaisait à souligner qu’en temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle devrait être préservée par un rempart de mensonges.
Les dernières heures qui précédèrent le conflit sont marquées du sceau de l’Abwehr, le service de renseignement et du contre-espionnage allemand. Dans la soirée du 31 août, à Geiwitz, un des ses commandos, en uniformes polonais, attaque le poste de radio de cette ville frontalière de Haute-Silésie et laisse derrière lui le cadavre d’un déporté exécuté pour la circonstance, preuve supposée de la duplicité polonaise. S’appuyant sur ce prétexte, Hitler envahit la Pologne dès le lendemain à l’aube. Cet épisode témoigne du rôle déterminant que les services de renseignement ne vont désormais cesser de jouer au cours de la guerre. Pour Hitler en effet, le renseignement est un instrument capital dans la lutte qu’il livre aux démocraties depuis son arrivée au pouvoir tant pour pénétrer leurs intentions que pour les déstabiliser et les tromper sur ses intentions réelles.
Il nomme en 1935 l’amiral Canaris à la tête de l’Abwehr, qui devient un organisme puissant et tentaculaire divisé en trois sections l’Abwehr I, en charge de la recherche d’informations secrètes au profit des forces armées et actionnant de très nombreux agents à l’étranger, l’Abwehr II, dédié aux sabotages et aux activités subversives, et l’Abwehr III auquels sont dévolus la sécurité militaire et le contre-espionnage. L’Abwehr devenu en 1938 l’une des cinq directions du haut état-major, coiffe enfin la sous-direction Étranger chargée des informations ouvertes délivrées par les diplomates et attachés militaires Allemands, particularité que les Alliés ne vont cesser d’exploiter savamment tout au long de la guerre afin de délivrer de fausse informations. Toutefois, l’Abwehr se heurte très rapidement au service de renseignement de la SS d’Himmler (SD, Sicherheitsdienst) qui empiètre sur son espace. La lutte acharnée que se livre ces deux organismes s’achève par l’arrestation de Canaris en février 1944 et la quasi disparition de l’Abwehr au profit du SD.
Affiche de mise en garde contre la 5e colonne par Paul Colin 1939-1940
Dirigé par le colonel Rivet, le 2e Bureau français, qui est loin de rassembler les nombreux effectifs de l’Abwehr, présente une articulation simple autour du service de renseignement (SR), et du service de centralisation du renseignement (SCR) s’occupant du contre-espionnage. Devenu 5e Bureau de l’état-major en septembre 1939, le service de renseignement français, dissous lors de l’armistice de 1940, n’en poursuit pas moins sa lutte dans la clandestinité mais à une échelle relativement réduite. Le SCR se camoufle ainsi derrière l’appellation de la Société des travaux ruraux (TR) dirigé par le colonel Paillole, tandis qu’un SR Air et un SR Marine apparaissent. Après le débarquement allié de novembre 1942 en Afrique du Nord, une partie des agents de ces services partent poursuivre la lutte aux côté du général Giraud en liaison avec les services britanniques. Le général De Gaulle dispose, lui aussi de sa propre organisation de renseignement et de contre-espoinnage depuis la création, le 17 janvier 1942 par le commandant Dewavrin, allias Passy, du Bureau central de renseignements et d’action militaire (BCRAM), rebaptisé le 28 juillet suivant BCRA. En dépit de relations complexes et de nombreuses rivalités, la fusion entre les services de la France libre et ceux rattachés au général Giraud intervient le 27 novembre 1943 à Alger avec la mise sur pied d’une unique Direction générale des services spéciaux (DGSS) placée sous les ordres de Jacques Soustelle.
The Bomb, machine qui permet de décrypter les messages Enigma
Sir Stewart Graham Menzie 1890-1968
À la suite de l’armistice de juin 1940 et jusqu'à l’entrée en guerre des États-Unis, les services secrets britanniques vont combattre l’Abwehr quasiment tout seuls. Winston Churchill Premier ministre depuis mai 1940, est un partisan convaincu de la guerre non conventionnelle, soutenant tout au long du conflit l’action de ses services de renseignement quand il ne va pas jusqu’à dicter leur conduite, leur concédant toujours plus de moyens. L’organisation des services britanniques est complexe : elle regroupe l’Intelligence Service ou M16, chargé du renseignement extérieur et dirigé par Sir Stewart Graham Menzie, ainsi que le M15, auquel est confié le contre-espionnage. Ces deux structures d’avant-guerre sont renforcées dès juillet 1940, par un nouvel organisme, le Spécial Opérations Executive (SOE), qui se voit confier par Churchill en personne la mission de mettre le feu à l’Europe par le sabotage et la subversion. Même si en théorie le SOE doit se tenir à l’écart de la lutte pour le renseignement, ses activités auprès des mouvements de résistance en Europe, qu’il a pour tâche d’alimenter en armes et matériel, le conduisent fréquemment à empiéter sur la phère d’influence du M16.
Message Ultra décrypté par les services britanniques
La section française du SOE (Section F), placée sous l’autorité du colonel Maurice Buckmaster, est assurément l’une des plus actives et des plus développées, actionnant pas moins d’une cinquantaine de réseaux au moment du débarquement de juin 1944. Chacun d’eux est fréquemment spécialisé dans un type d’action précis, qu’il s’agit de sabotages, d’attentats, de parachutages ou bien encore de missions de renseignement. L’efficacité des services britanniques tient à deux atouts majeurs. Ils disposent tout d’abord d’un vaste réseau d’informateurs agents permanents ou occasionnels, selectionnés dans le pays cible en fonction de leurs possibilités d’accès aux sources du renseignement, qu'il soit d’origine militaire, diplomatique, scientifique ou industriel. Le recrutement des agents s’est opéré généralement avant que les hosstilités n’éclatent, comme en témoigne le spectaculaire Double cross system que les Britanniques mettent en place dès 1937, alors que l’Abewhr s’efforce d’implanter sur le territoire anglais en réseau d’une dizaine d’agents dont l’un deux Snow, est déjà en contact avec l’intelligence Service. Cet agent double va fournir aux services britanniques les clés qui leur permettront d’arrêter ou de retourner, dès 1940, la totalité des agents allemands présents ainsi que tous ceux qui sont introduits par la suite. Encadrés par leurs officiers traitants, les nouveaux agents doubles ainsi recrutés, surnommés Double cross, donnent d’entrée de jeu un atout déterminent aux services de renseignement britanniques, qui tout au long du conflit, disposent d’informations capitales sur le fonctionnement de l’Abwehr, en Allemagne comme dans tout l’Europe occupée, sans que celle-ci ne soupçonne à aucun moment le superfuge.
Faut char d’assaut Sherman utilisé pour l’opération Fortitude
Toutefois, l’une des principales sources du renseignement britannique demeure le décryptage des messages chiffrés transmis par les services allemands via la machine Enigma adopté par la Wehrmacht dès 1937 puis peu après, par la Kriegsmarine et la Luftwaffe. La Grande-Bretagne dispose pour ce faire, depuis 1919, d’une structure spécialisée, la Gouvernment Code and Cypher School (GC and CS), installée à Bletchley Park au nord de Londres. Reprenant les travaux effectués avant la guerre par les mathématiciens polonais et des spécialistes français, les cryptographes de Bletchley Park parviennent à décrypter régulièrement les méssages d’Enigma de la Luftwaffe à compter de mai 1940 puis ceux de la Kriegsmarine l’anné suivante pour enfin lire en clair les textes de la Wehrmacht au printemps 1942. Les renseignements ainsi collectés reçoivent la dénomination (Ultra), en référence au code secret de l’amiral Nelson à Trafalgar. En 1942-1943, les Britanniques sont en mesure de lire plusieurs dizaines de milliers de messages par mois, ce qui leur permet de connaître avec exactitude l’état de l’armée allemande, sa position, ses besoins logistiques, les opérations projetées par le haut commandement, et ains d’anticiper au mieux la riposte des alliées. Le secret d’Ultra est sans doute celui qui est le mieux gardé de tout le conflit : Seule une trentaine de personnes connaît son existence, révélée au grand public seulement dans les années 1970. La méfiance de Churchill est telle que pour protéger Ultra, il accepte même que des vies britanniques soient perdues pour empêcher les Allemands de comprendre que leur système Enigma est mis à jour. Ainsi le Premier ministre britannique est mis au courant du raid prévu sur Coventry en novembre 1940 mais refuse de faire évacué la ville enfin de protéger sa source. Pour autant, les services secrets de sa gracieuse Majesté connaissent également des défaillances puisque la marine allemande est en mesure de décrypter jusqu’à l’été 1943 le code navale britannique et aini remporter la premère manche de la Bataille de l’Atlantique grâce à ses U-Boote.
L’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941 et la mise en place de leur service de renseignement l’Office of Strategic Services (OSS) créé par le colonel Donovan sur le modèle du SOE, permettent aux Britanniques de disposer d’un appui considérable en matière de renseignement. De nouveaux réseaux voient le jour dans l’Europe occupée ainsi que dans les pays neutres comme la Suisse ou le poste de Bernes, dirigé par Allen Dulles, devient un des centres névralgiques du renseignement allié, Cet accroissement en hommes comme en moyens, permet, par ailleurs de donner à la guerre du renseignement une dynamique nouvelle avec le développement de manœuvres dites d’intoxication, dont les britanniques sont devenus les spécialistes, visant à leurrer l’ennemi sur ses intentions réelles. Ces dernières sont utilisées de manière systématique par les Alliés pour préparer et appuyer toutes leurs grandes opérations stratégiques et tactiques à partir du débarquement d’Afrique du Nord de novembre 1942.
La responsabilité de ses manœuvres en Méditéranée est dévolue à une section baptisée Force A dirigée par le lieutenant-colonel Dudley Clarke. C’est ainsi que sont organisés de multiples plans de couverture et d’intoxication de l’opération Torch. Dans le même temps, la Force A monte une série de manœuvres d’intoxication dans les déserts de Libye qui contribuent au succès de la 8e armée britannique à El-Alamein.
En 1943, les opérations militaires des Alliés en Europe continuent de concerner exclusivement le secteur méditéranéen. Après la campagne en Tunisie, la Force A reçoit pour mission de détourner l’attention de l’ennemi du prochain objectif, la Sicile et de simuler des menaces de débarquement en Sardaigne et en Grèce grâce à toutes sortes de stratagènes. Ce n’est toutefois qu’à la fin de 1943 que les Alliés mettent sur pied une section spéciale chargée des questions d’intoxication. Cette section Ops se subdivise en deux sous-sections : la première s’occupe de la Visual Deception ou intoxication visuelle c’est-à-dire du camouflage des préparatifs fictifs reposant sur la fabrication de matériels militaires factices et la seconde couvre les Special Means ou moyens spéciaux, c’est-à-dire, essentiellement, des agents transmetteurs d’informations. L’Ops (B) est rapidement chargée de mettre en action un plan de dissimulation tactique baptisé Fortitude et comprenant deux parties : la première Fortitude Nord qui a pour but d’obliger les Allemands a maintenir le maximum de force en Scandinavie; la seconde; Fortitude Sud, vise à persuader le haut état-major allemand que le débarquement de Normandie n’est en fait qu’une opération préliminaire de diversion destinée à attirer les réserves allemandes, un préalable au véritable débarquement, qui interviendrait ultérieurement dans le Pas-de-Calais.
Camion fictif du plan de L’Ops
Si l’opération Fotitude Nord, engagée dès février 1944, n’est guère une réussite, les Allemands ne prenant pas la menace au sérieux et soupçonnant même la manœuvre d’intoxication, Fortitude Sud, s’avère beaucoup plus efficace. Pour rendre crédible cette opération, il est indispensable de faire croire aux Allemands que les Alliés disposent en Grande-Bretagne de forces suffisantes en effectifs et en moyens pour alimenter deux débarquements successifs, dont le second est le principal. Les Alliés imaginent donc la création d’un groupe d’armées fictifs, le First US Army Group (FUSAG), qui serait confié au général Patton. Mais si le FUSAG est fictif, un certain nombre des unités présentée en faisant partie est bien réel, ce qui permet de dissimuler jusqu’au bout son caractère de manœuvre d’intoxication. Afin de la rendre crédible, les Alliés mettent en place des dizaines de stratagèmes d’adressant aux services allemands de radio-détection, d’écoutes, d’interceptions, de radiogéomitrie à la Kriegsmarine et à la Luftwaffe, et utilisant les double Cross Agents. Ces derniers ont pour tâche de transmettre à l’Abwehr des rapports rendant compte de ce qu’ils voient, chacun à leur poste, descriptions qui doivent correspondre exactement aux rares photographies aériennes prise par les quelques avions ennemis qu'on laisse survoler la région. Il faut attendre la fin juillet pour que le haut état-major allemand commence à douter de la réalité d’un second débarquement. Fortitude constitue incontestablement un extraordinaire succès. À la veille du jour J, le haut état-major maintient 17 divisions en Scandinavie, et 26 dans l’Europe du sud-est, persuadé qu’un débarquement dans le Pas-de-Calais, plus considérablement encore, doit succéder à Overlord, Il a attendu cette deuxième opération pendant six semaines, alors que les Alliés avaient estimé à une vingtaine de jours, tout au plus la cridibilité de leur manœuvres d’intoxication.
Le débarquement de Normandie témoigne ainsi de l’habileté et de la capacité d’action des services spéciaux alliés alors qu’aucun Double Cross Agent n’est démasqué. Si au début août, les Allemands cessent de croire à la possibilité d’une seconde opération amphibie, les Britanniques s’attachent dès lors à les convaincre que cette annulation relève uniquement de considération tirées de la réalité du terrain. Guerre du secret, la guerre du renseignement pendant le second conflit mondial l’est assurémment et demeure à ce jour peu connu du grand public, loin des faux-semblants littéraires et cinématographiques, Ses anciens acteurs ont gardé le silence jusqu’à leur disparition, les archives sont rares même si les services britanniques ont fait rédiger une histoire officielle sur cette période qui éclaire d’un jour nouveau la compréhention des événements.
LA GARE DE BOBIGNY
Situé à quelques kilomètres à l’est de Paris, au lieu-dit La Couture, la gare de Bobigny fut entre 1943 et 1944, le lieu de départ des juifs internés à Drancy vers les camps de concentration et d’extermination. D’abord simple halte sur la ligne de chemin de fer de la Grande Ceinture de Paris, c’est en 1928 que la gare de Bobigny devient une véritable gare de voyageurs sur le trajet de la ligne Bobigny-Sucy-Bonneuil. Mais dans cette environnement maraîcher et agricole, la partie voyageurs est bientôt fermée en raison d’un trafic insuffisant; seule la halte aux marchandises, construite dans les années 1930 continue à être désservie. Environ deux kilomètres séparent la gare de Bobigny de la ville de Drancy où pendant les années d’occupation, sont internés à la cité de la Muette de nombreux juifs arrêtés en France. De mars 1942 à juillet 1943, ceux-ci partent vers les camps de la mort depuis la gare du Bourget au su et au vu de tous car l’établissement est auvert au public.
Vue aérienne de l’ancienne gare d Bobigny
À partie de l’été 1943 jusqu’à l’été 1944, c’est de la gare de Bobigny désaffectée et situé dans une zone très peu urbanisée et donc jugée plus discrète par les Allemands que partent vingt-et un convois emmenant vers les camps de la mort 22 407 hommes femmes et enfants de tous âges : dix-neuf pour Auschwitz, un pour Kaunas, un pour Tallin. Ils ne seront que 1 474 à revenir.
Les convois sont formés la veille du départ le long de la voie située entre la halle à marchandises et l’actuelle avenue Henri Barbusse; un commando d’internés de Drancy vient répendre un peu de paille dans les wagons et y installer quelques seaux. Le jour du départ, les autobus et les camions amènent les internés. Ils sont entassés dans les wagons, qui, une fois scellés s’engagent sur la ligne de la Grande Ceinture pour rejoindre le réseau menant vers l’Est de la France. La préservation et la mise en valeur de ce patrimoine mémoriel, lié à celui de Drancy constituent un enjeu majeur pour comprendre ce que fut l’entreprise criminelle de l’Allemagne nazi et la déportation des Juifs de France.
À partir des années 1980, une prise de conscience du rôle de la gare de Bobigny dans la Shoah se fait jour quand se profile un projet de destruction de son bâtiment voyageurs. Elle amène la Ville à réagir auprès du Premier ministre. En 1988, la SNCF renonce à détruire la gare et en 1993, la ville demande un classement du lieu au titre des Monuments historiques, demande qui aboutira le 24 janvier 2005 à la parution d’un arrêté portant inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques du site de l’encienne gare. Le 16 mars suivant, Réseau ferré de France cède à la ville l’encienne gare de voyageurs et un terrain de 1 450m2. Dès lors un projet de mise en valeur est lancé. Ce lieu étant le seul exemple en France de gare de déportation aujourd’hui désaffectée mais préservée dans un état proche de sa configuration d’origine.
Le projet va s’inscrire dans un réseau patrimonial constitué de lieux qui ont abrité l’une des séquences de la trajectoire des déportés depuis le lieu de leur arrestation à celui de leur extermination. Le projet s’articule autour de trois objectifs : révéler le site avec la dignité qui s’impose, informer le public avec son histoire et s’interroger sur les grandes questions éthiques suscitée par la Shoah.
Voisin de la gare, la friche industrielle et ferroviaire, d’une surface de 3,5 hectares, fera l’objet d’un aménagement paysager de qualité qui, respectueux de l’existant, prévoit des espaces de commémoration et de recueillement mais sera aussi l’occasion de recoudre le tissue urbain et de reliers plusieurs quartiers de Bobigny aujourd’hui enclavés. Une étude dans ce sens a été confiée à l’École du paysage de Versaille. Par ailleur, l’association Topographie de la mémoire a été chargée d’une étude préalable sur les enjeux du projet de mise en valeur de l’ancienne gare. Parallèlement, une autre étude a été réalisée sur l’histoire du site. Ces deux documents sont consultables au service des archives de l’hôtel de ville.
Un projet scénographique et artistique, conçu dans le respec des lieux, permettra d’accompagner le public dans sa découverte du site, de lui faire prendre conscience de sa dimension historique en mettant à sa disposition des informations qui restituent son histoire dans le contexte local, national et européen de l’époque.
Le pylone d’éclairage de la halle à marchandise
Enfin de faire vivre la gare de Bobigny un projet pédagogique et culturel proposera un programme d’accueil du public alliant la volonté de maintenir vivante la mémoire des déportations et celle de s’intéroger sur les grandes questions éthiques soulevées par la Shoah. L’ambition est d’offrir au public des outils de réflexion qui permettent d’être en mesure d’identifier les situations nouvelles d’exclusion, de racisme et d’antisémitisme, portant atteinte aux droits de l’homme en Europe. Ce travail sera encadré par un conseil scientifique chargé d’en assurer la valeur éthique. La halle à marchandises, d’une surface de 300m2 sera restaurée, mais laissée vide, évoquant ainsi l’absence de ceux qui un jour sont parti de là et, pour beaucoup, ne sont jamais revenus. C’est devant ce bâtiment que seront organisées les cérémonies de commémorations. De son côté, la gare voyageurs, elle aussi restaurée et réhabilitée, deviendra le lieu d’accueil du public. La ville de Bobigny a fait appel à la participation des pouvoirs publics dans toutes leurs composantes : Union européenne, État, Conseil régional, Conseil général, CNCF, Fondation du patrimoine, mais également à des mécènes privés.
Le point Z aiguillait les convois de déportés vers Auschwitz
Le Mémorial de la Shoah et la Fondation pour la mémoire de la Shoah sont associés au projet. De même, les associations, les habitants de Bobigny ainsi que toutes les personnes qui le désirent sont invités à s’exprimer sur le projet. Cette volonté se traduit par la mise en place d’un comité de préfiguration qui réunit les principaux partenaires institutionnels et associatifs scientifiques qui élaborent le projet pédagogique et culturel. La phase de préfiguration doit permettre de réaliser des pré-études techniques, d’élaborer un contenu pédagogique et scientifique, de procéder à la dépolution du site et de réunir les acteurs autour d’une volonté commune. L’ouverture du site se fera vers 2013.
LA FRANCE LIBRE, UNE FRANCE AU COMBAT
Quelques mois après l’arrivée du général De Gaulle à Londres en juin 1940, la France libre a une administration, des institutions, des forces qui s’organisent et qui bientôt, combattent sur tous les théâtres d’opération. Elle devient en 1942, la France combattante par la volonté de son chef, qui va s’attacher à assurer la place de son pays sur la scène politique de l’après-guerre.
Le 5 juin 18940, le général De Gaulle est nommé sous-secrétaire d’État à la défense nationale par le président du Conseil Paul Reynaud. Sa mission est de coordonner l’action avec l’Angleterre. Le 16 juin au soir, Reynaud démissionne; il est remplacé par Pétain. Le 17 juin, De Gaulle part pour Londres où il prend connaissance du discourt du maréchal appelant à cesser le combat. Cette demande d’armistice consacre à ses yeux, le déhonneur de la France innaceptable. Le lendemain sur les ondes de la BBC, il s’adresse aux Français pour les appeler à poursuivre le combat. Ce sera pour l’histoire l’appel du 18 juin. Dès le 28 juin, Winston Churchill reconnaît De Gaulle comme le chef de tout les Français libres où qu'ils se trouvent qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée. Le soir même, le général annonce ses premières décisions à la BBC : Tous les Français se trouvant en territoire britannique seront désormais placés sous son autorité; une force composée de volontaires sera formée; tous les officiers, soldats, marins, aviateurs contraints de livrer leurs armes et leurs matériels à l’ennemi devront rejoindre la résistance française la plus proche ou gagner l’Angleterre.
De Gaulle passe en revue les commandos des forces navales libres à Londres
Refusant la défaite, des hommes, des femmes, rejoignent l’Angleterre : Ils deviendront les Français libres Ils se recrutent d’abord au sein des unités venues de Norvège ou de Dunkeque qui sont cantonnées sur les côtes britanniques. Arrivent aussi des volontaires depuis la métropole et les colonies. Dans l’histoire de la France libre, il y eut autant d’aventures que d’hommes. L’un traversa la Manche à la godille avec son frère; un autre embarqua à Paimpol avec 41 élèves de l’École de la marine marchande; 129 pêcheurs de l’île de Sein débarquèrent sur la côte anglaise; Le lieutenant Pinot transporta en Grande-Bretagne 150 élèves pilotes. Militaires ou civils tous étaient mus par la volonté de poursuive le combat. De Gaulle veut rapidement codifier les relations entre la Grande-Bretagne et la France libre. Il charge René Cassin de préparer un accord, qui signé le 7 août 1940 fait de De Gaulle un Allié à part entière et donne un statut à la force française.
Il songe aussi immédiatement à obtenir le ralliement des territoires français outre-mer. La France libre doit aussi avoir une assise territoriale qui lui donne une légitimité, et ces territoires serviront de base dans la poursuite de la guerre. En juillet, les Nouvelles-Hébrides, condominium franco-britannique se rallient à la France libre. De Gaulle convainc les Anglais que le ralliement de l’Afrique équoitorial française (AEF) serait une garantie pour la sécurité de leurs propres possessions. Des équipes partent pour négocier les ralliements. En août, le tchad se rallie, puis viendront le Cameroun, le Congo français, l’Oubangui-Chari, Tahiti. Suivront en septembre les établissements français d’Océanie, les comptoirs des Indes, la Nouvelle-Calédonie.
Le général Goening avec ses officiers supérieurs à Bir-Hakeim
Le Gabon reste fidèle à Vichy, est conquis par les forces françaises libres (FFL) en novembre. En décembre 1941, les habitants de Saint-Pierre et-Miquelon plébiscitent à leur tour le ralliement après que des navires de guerre français conduits par l’amiral Muselier ont pris possession de ces îles. De Gaulle se trouve à la tête de territoires à administrer. Il annonce à Brazzaville, le27 octobre 1940, la création du Conseil de défense de l’Empire, premier organe de gouvernement de la France libre. Il finalise dès lors son organisation militaire et administrative et nomme les nouveaux gouverneurs des territoires ralliés. Dès fin 1940, De Gaulle décide de renforcer sa présence international en ouvrant des délégstions, sorte d’ambassades officieuses qui collecte des fonds et servent de bureaux de recrutement pour les FFL. Le 16 novembre, une Déclaration organique affirme l’illégalité et l’inconstitionnalité du gouvernement de Vichy. Le même jour, l’ordonnance no 7 crée l’Ordre de la Libération. A partir de janvier 1941, un journal officiel de la France libre est publié. Une réforme monétaire des territoires alliés est effectuée avec la mise en place d’une Caisse centrale de coopération économique. Le pas décisif est franchi avec l’ordonnance du 24 septembre 1941, véritable constitution de la France libre.
Revue des troupes par de Gaulle.
Dès juin 1940, le service français de la BBC diffuse chaque soir l’émission Les Français parle aux Français; radio Londres devient une véritable arme de guerre. Les murs de Londres commencent à se couvrir d’une affiche frappée de la croix de Lorraine, emblème de ceux qui dise non. Recréan la France administrative et politique à Londres. De Gaulle veut qu’elle soit au combat aux côtés des Alliés. Dès la fin juin 1940, des unités son constituées. Ce sont des jeunes qu’il va falloir encadrer, former, armer. Dès juillet 1940, le 1er Bataillon d’infanterie de marine (1er BIM) basé à Chypre se rallie et rejoint au Liban une compagnie du régiment d’infanterie coloniale. Ces éléments se battent avec la 8e armée britannique sur la frontière égypto-libyenne; Sidi Barrani est pris aux italiens le 9 décembre. Le 1er BIM s’illustrera, en autres, à Tobrouk en janvier 1941.
Le 21 octobre 1940 à Brazzaville, De Gaulle décide la création d’une Brigade française d’Orient (BFO). Celle-ci rejoint le Soudan en février 1941 où se trouve déjà le Bataillon de marche n0 2 (BM3). Le 20 février, ce dernier parti en Érythrée, sempare du fort de Kub-Kub. La BFO prend aussi une part essentielle à la prise du port de Masssouah. Après d’autres combats, la victoire dans cette région, en avril 1941, annonce la fin de l’empire italien en Éthiopie. La BFO est dissoute en mai 1941 et ses unités sont envoyées en Palestine. De Gaulle demande que toutes les forces disponibles au Moyen-Orient soient rassemblées en une division légère : La 1ère Division légère française libre (1ère DLFL) est mise sur pied; elle est engagée dans la campagne de Syrie juin, juillet 1941 puis dissoute le 20 août 1941, ses unités étant dissiminées en Syrie et au Liban. Le 1er octobre 1941, deux brigades voient le jour sous l’autorité du général Larminat.
France Libre : Les volontaires de 1940
Elles vont se battre en Libye, à Bir Hakeim puis à El-Alamein. Elles sont réunies le 1er février 1943 pour former la 1ère Division française libre (1ère DFL). Celle-ci prendra part à la fin de la campagne de Tunisie, puis à celle de l’Italie et au débarquement de Provence avant de combattre en Alsace et dans les Alpes. Installé au nord du Tchad, Leclerc lance en janvier 1941 la vaste opération destinée à prendre l’oasis de Koufra tenue par les italiens, au sud-est de la Libye; il remporte la victoire le 1er mars et le 2 fait devant ses hommes le célèbre serment de Koufra, s’engageant à combattre jusqu’à ce le drapeau tricolore flotte à nouveau sur Paris et Strasbourg. La colonne Leclerc conquiert ensuite le Fezzan en février 1942-janvier 1943, puis fait la campagne de Tunisie en février 1942-janvier 1943, puis la campagne de la Tunisie en février-juin 1943; elle devient le 30 mai la 2e DFL, puis le 24 août, la 2e Division blindée (2e DB). Regroupée au Maroc jusqu’en avril 1944, elle rejoint l’Angleterre et débarque en Normandie. Le 1er août ce sera la libération de Paris une épopée vers les Vosges et l’Alsace, Strasbourg, Colmar avec la 1ère Armée du général de Lattre, Royan, avant de partir pour l’Allemagne vers Berchtesgaden, le nid d’aigle de Hitler, qu’elle occupe à la veille de la capitulation de l’Allemagne.
Fort-Lamy en décembre 1940, Leclerc prend le commandement des troupes du Tchad
La France libre organise sa marine. Arrivé è Londres le 30 juin 1940, l’amiral Muselier est nommé le 1er juillet à la tête des forces navales françaises libres (FNFL). La tâche est difficile, en effet, seul une minorité de marins sont convaincue de la nécessité de poursuivre le combat. De plus ils craignent de voire la flotte française tomber entre les mains des Allemands. Les Britanniques saisissent les navires stationnés dans leurs ports. Désarment l’escadre qui se trouve à Alexandrie et détruisent la flotte à Mers-el-Khébir, ce qui ne facilite pas les ralliments. Pourtant une petite marine de guerre et de commerce digne de ce nom va naître autour de quelques officiers et officiers mariniers de carrière et de réserve et d’une masse de jeunes volontaires.
Visite de l’amiral Auboyneau, commandant les FNFL, au commandant Kieffer et à ses hommes au camp d’entraînement d’Archnacarry en Écosse le 20 mai 1942.
Les FNFL seront présents sur tous les océans, sur tous les théâtres d’opérations. Ils sont dans la Bataille de l’Atlantique pour protéger les lignes de ravitaillement; ils effectuent partout des missions de patrouille, de mouillage de mines, de débarquement. À l’aube du 6 juin 1944, le commando Kieffer, qui fait partie d’une unité de commando britannique, débarque près d’Ouistreham. Ce sont les premiers Français libres à fouler le sol de France en unité constituée. Quant à la marine marchande libre, navigeant sur tous les océans elle eut un rôle important.
André Devawrin (Passy)
La France libre se dote aussi, en juillet 1940 de services spéciaux crées et dirigés par André Devawrin. Celui qui, quelques jours plus tard, prend le pseudonyme de Passy organise le service de renseignement des FFL, qui deviendra en juillet 1942 le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA). Dès 1940, le service envoie en France des agents. L’objectif est que ses agents mobiles collectent des informations recueillies par des agents fixes recrutés sur place et organisés en réseaux; Passy pense aussi à la constitution de groupes d’action. Tout au long de la guerre, le renseignement constitue l’une des contributions majeures de la France libre au combat des Alliés.
Jacques Remlinger et Pierre Clostermann le lendemain de leur victoire aux Orcades le 21 février 1944.
En 1941, les liens entre Londres et la Résistance intérieure sont encore des plus fragiles. L’arrivée à Londres de Jean Moulin en septembre 1941 va changer les choses. Il sera l’émissaire de De Gaulle en France pour unir les mouvements de résistance derrière la France libre. Le 12 juillet 1942, ce dernier annonce que la France libre s’appellera désormais (la France combattante) pour symboliser l’union des résistances extérieure et intérieure.
ELISABETH EIDENBENZ LA MATERNITÉE SUISSE D’ELNE
L’infirmière de la Croix Rouge, Elisabeth Eidenbenz s’installe en 1939 dans les Pyrénées-Orientales pour venir en aide aux réfugiées espagnol démunies sur le point d’accoucher. Pendant l’Occupation, elle ouvrira sa maison aux femmes juives et tsiganes.
En 1936, Elisabeth Eidenbenz institutrice à Zurich en Suisse, devient infirmière de la Croix Rouge. À 24 ans, en pleine guerre civile espagnol, elle part à Barcelogne et à Valence ou elle se met à la disposition de l’association suisse d’aide aux enfants. La défaite du camp républicain entraîne un exode massif de populations espagnoles vers la France, la (Retirada). Elisabeth suit les réfugiés enfin de leur venir en aide. En mars 1939, elle parvient à s’installer provisoirement dans une maison désaffectée de Brouilla dans les Pyrénée-Orientale et décide d’y accueillir des femmes démunies sur le point d’accoucher. Elle n’hésite pas alors à s’improviser sage-femme, certaine qu’avec elle, les femmes seront mieux soignées que dans les camps. Mais le répit est de courte durée car le propriétaire des lieux la somme de partir. Par chance, elle découvre à quelques kilomètres de là un château d’En Bardou à Elne, délabré mais providentiel. L’espoir renaît immédiatement. Elle sollicite sans attendre l’aide matérielle d’associations suisse, puis françaises et américaines, et transforme les lieux en maternité.
C’est ainsi que dès 1939 à 1944, vont naître dans des conditions décentes 600 enfants victimes de l’exil, malgré l’horreur de la Seconde Guerre mondiale qui fait rage, à l’écart des camps d’Argelès, Rivesaltes, Saint-Cypien et Gurs dans lesquels les mères étaient parquées. Cinq années durant, le château d’En Bardou devient un lieu d’accueil et de réconfort pour ces êtres promis à la faim, au dénuement et à l’exclusion. Tous étaient enfants, réfugiés, espagnols, juifs ou tsiganes. Mais pour Elisabeth Eidenbenz, ces bébés et leurs mères appartenaient à une même communauté humaine. Dans cette maison, la différence et les barbelés de l’exclusion n’avaient pas droit de cité. Malheureusement au printemps 1944, les Allemands donnent trois jours à Elisabeth Eidenbenz et à son équipe pour quitter les lieux. Délaissé pendant plus de cinquante ans, en ruines, le château d’En Bardou est remis en état à partir de 1997 grâce à son nouveau propriétaire.
L’association Helen’Arts a été créée, réunissant le propriétaire des lieux et des personnes qui y sont nées pendant la guerre. Elle a accomplie un travail de recherche pour reconstituer l’histoire de la maternité, mettre à jour des archives, photographies, objets, témoignages, écrits, et retrouver la trace d’hommes et de femmes qui y ont vu le jour.
En mars 2002, l’association et la mairie d’Elne organise diverses manifestations en l’honneur d’Elisabeth Eidenbenz et du (Secours Suisse) en présence des présidents du Conseil régional et du Conseil général, du directeur de la Croix Rouge Suisse ainsi que de nombreuses personnalités. À cette occasion Elisabeth Eidenbenz est décorée de la médaille des (Justes parmi les Nations.
LECLERC LES CIRCONSTANCE D’UNE MORT TRAGIQUE
Le général Leclerc avec des officiers de la 2e DB sur la route de Paris, le 24 août 1944.
Le 28 novembre 1947, l’avion dans lequel le général Leclerc a pris place s’écrase dans le désert sur la voie ferrée qui relie Oujda à Colomb-Béchar en Algérie. Aucun rescapé. La nouvelle frappe la France de stupeur. Que s’est-il passé? Pourquoi? Enquête, conjectures et contreverses rendent la vérité difficile à établir, sans compter les rumeurs qui se propagent sur un éventuel attentat.
À Tripoli (Libye) en janvier 1943
À l’automne 1947, le climat social est très tendu en France métropolitaine. Outre-mer, la situation se détériore. Le général Leclerc, inspecteur des forces terrestres, aériennes et navales en Afrique du Nord, a reçu pour mission de préparer sur ce territoire une force d’intervention contre les instigateurs potentiels notamment les communistes des troubles insurrectionnels. C’est dans ce contexte, propice pour alimenter la thèse d’un attentat, que Leclerc trouve la mort.
Reconnaissance sur Hanoï en mars 1946
Il est 10 h 17, le 28 novembre quand le B25 Mitchell, baptisé Tailly 2 du nom de la propriété de Leclerc en Picardie, décolle d’Oran pour Colomb-Béchar. Le général est accompagné de sept collaborateurs. L’équipage: Le pilote, un navigateur, un radio et un mécanicien est, depuis fin 1945, attaché à sa personne. Sauf le pilote, le lieutenant Delluc, qui en septembre, a remplacé le capitaine Michel Le Goc. Ancien du groupe (Guyenne), Delluc a effectué 200 heures de vol en 36 missions de guerre. C’est son cinquième vol avec Leclerc à bord. Ce matin-là, le ciel est chargé, les plafonds relativement bas et la météo annonce des risques de vents de sable. Mais la situation n’est pas catastrophique au point d’annuler le décollage du B-25. En effet, l’équipage est qualifié pour le vol aux instruments et aucun bulletin interdisant les atterrissages n’a pas été émis par la base de Colomb-Béchar. L’accident provoque la consternation. L’émotion est vive. D’aucuns prétendent que Delluc n’aurait pas dû décoller mais qu’il l’aurait fait sous la pression de Leclerc. Assertion mise à mal par le témoignage d’un équipage qui devait également rejoindre Colomb-Béchar, mais décide de ne pas partir.
En Lorraine avec la 4e DI, janvier 1940
Le chef de bord rapporte qu’à la station météo Delluc, qui n’a pas encore vu Leclerc, leur explique que les performances du B-25 en matière d’autonomie lui permettent, si nécessaire de faire demi-tour sur Oran, ce qui n’est pas le cas de leur Junker 52. Il a donc ainsi pris la décision de partir avant la soi-disant pression exercée par Leclerc. Selon un témoin, avant de monter à bord, le général interroge le pilote sur les conditions météo Delluc lui donne les prévisions, perturbations, vents de sable et de Leclerc de répondre avec sa brusquerie habituelle : On passera quand même, peut-on parler de pression? Même si Delluc connaît mal Leclerc, il sait qu’une telle réflexion est dans le style du personnage. Elle ne peut que le conforter dans sa décision de partir et d’aller voir comme on dit dans le jargon des pilotes. Il sera toujour temps, en cours de vol d’annoncer le cas échéant qu’il est impossible de se poser.
Carte d’identité du capitaine Leclerc
Quelques instants avant le décollage, un message de la tour de contrôle fait part d’une aggravation de la météo, sans que cela soit une raison d’annuler. Cependant très peu de temps après le décollage, Delluc se préoccupe des évolutions de la météo au lieu de destination. Il reçoit deux messages à peu d’intervalle. Le premier indique une situation à Béchar meilleure que celle donné le matin avant le décollage; le second signale une aggravation mais une situation toujours meilleure que celle du matin quand l’équipage a décidé de décoller. C’est renseignements figurent dans le procès-verbal (PV) des communications radio échangées en morse entre l’avion et la station de Colomb-Béchar. Le PV fournit d’autres informations importantes pour comprendre le déroulement du vol; telles les corrections apportées sur l’heure estimée d’arrivée et les relèvements goniométriques donnés par Colomb-Béchar et indique l’heure à laquelle est donné chacun de ces renseignements. Par ailleur, des témoins ont vu l’avion, d’abord en vol rasant au-dessus de la gare de Bou-Arfa un quart-d’heure avant l’accident, puis au moment de l’accident. Grâce à ces divers éléments, il est possible de reconstituer assez bien les quinze dernières minutes du vol. Premier constat : le pilote n’a pas suivi son plan de vol, qui prévoyait un vol à l’altitude de 2 500 mètres et une percée à l’arrivée. Pourquoi a-t-il jugé préférable de descendre avant de terminer son vol à basse altitude? La réponse est en partie donnée dans la conclusion du rapport d’enquête : S’il avait observé son plan de vol, il aurait eu de grosses difficultés à percer par un plafond qu’il savait très bas à Colomb-Béchar avec le seul gonio Moyenne Fréquence constituant l’infrastructure radio de cette base et que dans son esprit cette manœuvre exécutée entre des sommets bouchés devait présenter plus de risque que le vol rasant. Il pouvait en effet penser que cette percée serait délicate, les renseignements obtenus en vol par le gonio s’étant révélés faux par rapport à ce qu’il a pu observer au sol.
Discours du général Leclerc au palais du gouverneur à Saïgon le 7 octobre 1945.
Toutefois on ne peut imaginer qu’il soit descendu à l’aveuglette à travers les nuages dans une région au relief si tourmenté. Il a à coup sûr, profité d’une éclaircie lui permettant de se recaler avec précision. On peut penser qu'il a identifié la gare de Bou-Arfa sur la voie ferrée conduisant à Colomb-Béchar, qu'il lui suffisait alors de suivre pour arriver à destination. Les données du PV permettent d’estimer à quinze minutes la durée de vol à basse altitude. Or des dernières analyses de l’accident décrites par Jean-Christophe Notin, il ressort que celui-ci est survenu à la suite d’un départ en vrille à plat dû à une ogmentation d’incidence à faible vitesse. Le B-25 percute alors le remblai de la voie de chemin de fer perpen-ticulairement à celui-ci. Les débris de l’avion et les corps déchiquetés jonchent le sol de par et d’autre de la voie.
Débris de l’avion après l’accident
Pour comprendre ce qui a pu se passer, il faut revenir sur les modifications apportées à l’avion. Le B-25, avion de bombardement, avait été spécialement aménagé pour les longues missions de Leclerc et comportait notamment une couchette dans le poste du mitrailleur de queue. Ces transformations accentuaient la sensibilité de l’appareil aux basses vitesses. Quand la couchette était occupée, le centrage de l’avion s’en trouvait fortement modifié. C’est pour cette raison que, lors des décollages, il était interdit de s’y installer. Plusieurs années après les faits, dans une lettre adressée à Guy de Valence, ancien aide de camp de Leclerc, Michel Le Goc raconte comment lors d’un décollage du Caire en décembre 1946, il a frôlé la catastrophe : Quel ne fut pas ma stupéfaction en arrachant le Mitchell du sol, de sentir l’avion basculer d’un seul coup vers l’arrière, les commandes mollir et de voir l’aiguille du Badin régresser brutalement et l’horizon artificiel décrocher! Un décrochage qui aurait pu provoquer une vrille. Un passager n’avait pas respecté la consigne. Ne peut-on dès lors envisager que des passagers, surpris par le déroulement imprévu du vol, aient voulu se déplacer vers l’arrière pour voir le poste du mitrailleur ce qui se passait? Ce changement brutal de centrage à basse vitesse suffirait à expliquer le départ en vrille.
Débarquement du cercueil du général Leclerc sur la passerelle de l’Émile Bertin, 5 décembre 1947
La découverte par les secours de trois corps dans l’empennage arrière paraît confirmer cette hypothèse. Tous ceux qui se sont réellement penchés sur les circonstances de cet accident, s’accordent pour dire que c’est l’explication la plus vraisemblable, déchargeant ainsi Delluc d’une grande part de responsabilité, ce que n’a pas fait l’armée de l’Air dans ses conclusions. En tout cas, rien dans le dossier sur l’accident ne peut étayer la thèse d’un attentat, thèse qui fut alimentéee par la présence présumée d’un treisième passager non inscrit sur la lisre sans se prononcer sur son identité qui restera pour toujour un mystère.