LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

CHRONIQUES


L’AFFICHE ROUGE

Reproduite dans la plupart des manuels d’histoire, l’affiche rouge est devenue l’un des symboles de la lutte clandestine contre l’occupant et Vichy. Conçue à l’origine par la propagande allemande et plancardée dans tous le pays, en février 1944, pour stigmatiser les combattants du groupe Manouchian assimilés à des terroristes étrangers, juifs et communistes. Cettte affiche, en immortalisant leur visage, les a rendu toute leur dignité. Une victoire posthume pour ces combattants de l’ombre dont l’engrenage au sein des FTP-MOI mérite d’être rappelé.

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Missak Manouchian, soldat en permission en 1940

En 1939, un peu plus de deux millions d’étrangers vivent en France. À la recherche de travail ou fuyant les persécutions politiques subies dans leurs pays, des Italiens, des Allemands, des Autrichiens, des Tchécoslovaques, des Easpagnols s’installent en métropole dans des conditions d’abord précaires. Parmi eux, nombreux sont ceux qui s’engagent, dès septembre 1939, et joueront par la suite un rôle non négligeable au sein de la France libre et de la Résistance intérieur.

Les réseaux d’entraide de l’entre-deux-guerre, qui favorisaient leur intégration, sont réactivés et permettent de recruter des groupes spécifiques de résistants étrangers. Ainsi, la section Main-d’œuvre immigrée (MOI), créée en 1924 au sein du syndicat CGT unitaire, puis reprise en 1925 par le PCF, avait originellement pour but de promouvoir les actions associatives, culturelles et sportives à destination des immigrés.

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Thomas Elek 18 ans

Organisée en section (roumaine, bulgare, arméniennes juive) elle permettait, entre autres, l’édition de publications en langue étrangère. Dissoute pendant la drôle de guerre. La MOI se reconstitue clandestinement, notamment grâce à l’action de ses dirigeants, dont Artur London, Marino Mazetti ou Adam Rayski. Implanté dans différentes régions, elle permet aux résistants étrangers ou d’origine étrangère de fédérer leurs actions, d’abord autour de l’édition de nombreux journaux clandestins en langue étrangère. La section juive de la MOI est particulièrement active et joue un rôle décisif dans la mobilisation de la communauté et le sauvetage des Juifs en France.

Les actions des FTP-MOI

En août 1941, les étrangers de la MOI, surtout à Paris, participent à la lutte armée dans laquelle s’engage le Parti communiste français (FTPF) dirigés par Charles Tillon, les différents groupes d’actions, dont ceux des FTP-MOI, mènent des opérations de guérilla. En région parisienne, les FTP-MOI se composent de quatre détachements (roumain, juif, italien, (dérailleurs), de deux équipes bulgare et espagnole, d’un service médical et de renseignement et, à partir de 1943, d’une équipe spéciale. Selon Denis Peschanski, l’expérience de la guerre d’Espagne, de la lutte clandestine sous les régimes autoritaires dans les années 1930, le drame des déportations et le poids de la répression sont des facteurs expliquant la part prépondérante tenue par les FTP-MOI dans la guerilla urbaine.

Il ne faut toutefois pas surestimer l’importance numérique de ces combattants de l’ombre aux actions de plus en plus spectaculaires. Ainsi, en août 1943, on recense 65 FTP-MOI en région parisienne. Au cours des six premiers mois de l’année 1943, les différentes unités de la MOI parisienne accomplissent 92 attentats dans la capitale : à côté des opérations menées contre les troupes allemandes d’occupation, une équipe se spécialise, de juillet, à octobre, dans les opérations de sabotages, qui conduisent à 12 déraillements sur les lignes de la gare de l’Est en direction de l’Allemagne.

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Le général Julius Ritter abattu le 28 septembre 1943

À partir de l’été 1943, c’est Misak Manouchian, en liaison avec son supérieur hiérarchique, Joseph Epstein qui prend la direction militaire. La multiplication d’attentats et de sabotages en fait une cible privilégiée des organes de répression, notamment après que le 28 septembre 1943, le général Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire (STO) en France, a été abattu.

La traque des Brigades spéciales

Les effectifs des Brigades spéciales (SB), créées en mars 1940 au sein des renseignements généraux pour lutter contre le communisme, ne cessent de croître à partir de l’été 1941. Les enquêteurs chargés de traquer les terroristes se concentrent plus particulièrement sur les combattants de la MOI et collaborent étroitement avec les forces répressives allemandes, comme les y invite l’accord conclu le 8 août 1942 entre René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, et Karl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police allemande en France.

Les Brigades spéciales travaillent ainsi conjointement avec les Services de sécurité allemands pour démanteler les groupes liés à la MOI et dont les actions de guérilla dans la capitale entretiennent un sentiment d’insécurité au sein des troupes de la Wehrmacht. Au cours de l’année 1942, les renseignements obtenus à la suite d’arrestations, encore peu nombreuses, au sein des organisations italiennes, yougoslaves juives et roumaines, permettent le déclenchement d’une première fillature. Elle cible, dès janvier 1943, l’organisation politique de la jeunesse juive, composée de 200 membres à Paris et en banlieu parisienne.

Le 18 mars, 57 jeunes militants de la MOI sont arrêtés avant d’être torturés puis déportés (parmi eux, Henri Krasucki, qui sera secrétaire général de la CGT de 1982 è 1992). Le 22 avril 1943, une deuxième fillature a pour objectif de décapiter toute la branche juive de la MOI. Fin juin 1943, sur plus de 150 militants suivis, 71 sont arrêtés. À la mi-novembre 1943, à l’issue de près de cent jours de traque, la troisième fillature engendre une vague d’arrestations touchant les FTP-MOI parisiens : 68 militants sont arrêtés dont la moitié sont des Juifs, majoritairement étrangers. Joseph Epstein, responsable FTPF de la région parisienne, et Missak Manouchian sont interpellés le 16 novembre 1943.

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Liste des attentats FTP-MOI

L’instrumentalisation du procès

Après leur arrestation, les militants FTP-MOI sont conduits à la préfecture de police pour être intérogés par la 2e Brigade spéciale. Des photos anthropolométriques, aujourd’hui conservées dans les archives de la prefecture de police, sont prises. Les premiers jours de détention sont rythmé par la succesion d’intérrogatoires à coups de poings, de mise à l’isolement, puis de séances de torture à coups de nerf de bœuf. Acheminés ensuite au siège de la Gestapo, les résistants sont transférés par les Allemands à la prison de Fresnes dès la fin du mois de novembre 1943. La plupart des militants FTP-MOI arrêtés sont déportés à la mi-janvier 1944, à l’exception de 23 d’entre eux traduit devant une cour matiale allemande. Aucune trace du déroulement du procès ne figure dans les archives dont l’historien Ahlrich Mayer n’a pu retrouver que le verdict. Jugés dans la langue de Goethe par une cour martiale composé de trois juges militaires, d’un procureur et d’un greffier, les 23 accusés sont condamnés à mort sans possibilité de faire appel.

La presse les radios officielles et les actualités cinématrographiques profitent du procès pour relayer la campagne de propagande menée pour fustiger l’armée du crime, alors même que la présence de journalistes français et étrangers à l’audience n’est pas avérée. Entre le 18 et le 24 février 1944, la presse collaborationnistes et celle de Vichy, se contentent, pour relater le procès, de reprendre à la virgule près les notes émises par l’Officie français d’information, distillant la même prose idéologique.

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Tract recto verso, édité en même temps que la célèbre affiche rouge, réalisée par le Centre d’études antibolcheviques. Office de la propagande nazie, 1944

Elle fustige des assassins juifs et étrangers, prenant leurs ordres à Moscou. On sait aujourd’hui que le procès fut expéditif : le verdict est prononcé dès le 19 février, alors que les articles publiés le même jour évoquent l’ouverture du procès. Celui-ci est censé se clore le 24 février, soit trois jours après l’exécution des militants FTP-MOI. À la radio, Philippe Henriot se sert également du procès pour appuyer ses distribes xénophobes l’arrestation et le procès des FTP-MOI son instrumentalisés par la propagande allemande, qui entend ainsi utiliser des arguments xénophobes, antisémites et anticommunistes pour discréditer la Résistance aux yeux de l’opignon françaises. Au printemps 1943, alors que l’Axe subit plusieurs défaites et que l’hypothèse d’un débarquement allié se précise, l’occupant cherche à gagner l’adhésion de la population, de plus en plus favorable aux actions de la Résistance.

Une campagne de propagande ratée

Publiée  à plus de 15 000 exemplaires l’Affiche rouge, non signée, réalisée par le Centre d’études antibolcheviques (CEA), organe de propagande allemand, montre ainsi, sur fond rouge, le visage de certains résistants du groupe Manouchian comparés à une armée du crime et stigmatisés en raison de leur origine étrangère. La composition de cette affiche reprend le code habituellement utilisés par la propagande officielle : les avis d’exécution sur lesquels figurent les noms des condamnés et la dénonciation des ennemis de l’intérieur (juifs, étrangers, communistes). Néanmoins, les dessins et caricatures, outils traditionnels de la propagande officielle, cèdent le pas au photographies montrant les condamnés et les preuves de leurs crimes. Les symboles identifiés à la Résistance tel  le V de la Victoire et les termes de libérateurs et de libération, sont détournés.

La Résistance est décrite comme un facteur de violence et de division. Cette propagande a également été relayée par la diffusion de tracts et de de brochures spécifiques fustigeant l’armée du crime, mais aussi par de véritables brûlots antisémites, au titre révélateur tel que Je vous hais. Au printemps 1944, cette campagne ne suscite pas d’adhésion de la population soumise aux privations et aux représailles de l’occupant et de plus en plus distante face à la politique de collaboration accentuée par le régime de Vichy. L’affiche rouge est même contre-productive car elle permet d’humaniser des combattants clandestins et anonymes, en mettant en avant l’engagement des militants communistes étrangers.

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L’affiche, article de la revue Les Lettres françaises, édition clandestine de mars 1944

Elle suscite des témoignages de sympathie comme l’attestent les rapports des Renseignements généraux. La presse résistante, dès mars 1944, dénonce cette campagne de presse et fait état des réactions hostiles de la population, rendant hommage aux combattants de l’affiche rouge. Enrico Pontremoli, peintre et résistant, imprime des macarons à l’iffigie d’Hitler, à apposer sur l’affiche à la place des portraits de résistants, et sur lesquelles on peut lire Adolf Hitler 11 millions de morts, 25 millions de blessés. Enfin, le Parti communiste dans l’Humanité clandestine du 3 mars 1944, utilise pour s’auto-qualifier le terme de parti des fusillés. Cette campagne de propagande qui visait à donner une vision réductrice et déformée de l’action des FTP-MOI, a inconstablement un rôle important dans la construction mémorielle postérieur.

Ainsi les 23 FTP-MOI exécutés deviennent dans la mémoire collective les membres du groupe Manouchian. Or Missak Manouchian est le chef militaire de l’ensemble des FTP-MOI de la région parisienne et les résistants fusillés appartiennent à des détachements distincts des FTP-MOI. Sur les vingt-deux fusillés, la moitié sont identifiés comme juifs. Neuf appartiennent à l’équipe dite des dérailleurs. Quatre sont issus du deuxième détachement, dite détachement juif. Trois font partie de l’équipe spéciale; six appartiennent au 3e détachement majoritairement italien. Douze des vingt-deux fusillés ont moins de 24 ans au moment de leur exécution et l’un d’entre eux, Roger Rouxel, n’a pas encore atteint 18 ans.

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Des membres du groupe Manouchian dans la cour de la prison de Fresnes

Missak Manouchian et Arpen Tavitian, les seuls militants arménienne plus âgés (38 et 45 ans), ne sont donc pas représentatifs de la génération de jeunes militants juifs en majorité polonais qui ont choisi de s’engager dans les MOI après la déportation de leur proches. Quant à Joseph Epstein, pourtant chef des FTP de la région parisienne, il est jugé séparément et exécuté le 11 avril 1943 avec dix-huit autres résistants. Parmi les 23 membres des FTP-MOI arrêtés en région parisienne, 22 sont fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944. La seule femme du groupe Olga Bancic, est transférée en Allemagne et décapitée à Stuttgart, le 10 mai 1944. Après leur exécution, les membres du groupe Manouchian sont inhumés dans le carré des fusillés au cimetière parisien d’Ivry. À la Libération, une enquête est menée, visant particulièrement les Brigades spéciales : 150 policiers sont poursuivis, 64 inspecteurs condamnés dont 22 à la peine de mort. 10 sont exécutés dont Gaston Barrachin, responsable de l’arrestation de Missak Manouchian et Joseph Epstein.

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Commémoration du premier anniversaire de l’exécution du groupe Manouchian au cimetière d’Ivry-sur-Seine, 25 février 1945

Hommage au groupe Manouchian

Depuis 1945, le souvenir du groupe Manouchian se perpétue chaque année à l’occasion de commémorations organisées par des associations d’anciens résistants au cimetière d’Irvy-sur-Seine. Néanmoins dans le contexte de la guerre froide, la résistance de ses étrangers communistes est peu mise en avant. Les poètes se chargent alors de faire passer l’Affiche à la postérité. Ainsi en 1950, dans son poème Légion, Paul Éluard rend hommage aux FTP-MOI. Ces étrangers d’ici, qui choisirent le feu, leurs portraits, sur les murs, sont vivant pour toujour. Un soleil de mémoire éclaire leur beauté.

En 1955, à l’occasion de l’inauguration d’une rue du Groupe-Manouchian dans le 20e arrondissement de Paris, un hommage national leur est également rendu et Louis Aragon compose un poème. Des travaux universitaires ont ainsi montré l’importance de l’engagement des résistants étrangers ou d’origine étrangère au sein des maquis et de la France libre pendant l’occupation et dans les combats de la Libération.


01/02/2014
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DE L’ARRESTATION DU 21 JUIN 1943 À L’AFFAIRE DE CALUIRE

La rencontre de Caluire du 21 juin 1943 est marquée par les affrontements internes entre Jean Moulin et les chefs de la Résistance en zone sud, rétifs à son autorité. Une réunion au cours de laquelle  il sera arrêté, puis remis à Klauss Barbie, dans des conditions qui ne sont pas élucidées. Un épisode tragique qui continue de susciter des contreverses.

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La maison du Dr Dugoujon

Le 21 juin lors d’une réunion clendestine qui se tient dans la banlieue lyonnaise, à Caluire, dans la maison du Docteur Dugoujon, une dizaine de policiers du SD (service de sécurité allemand) ainsi que les membres du Sipo (service de sureté) font irruption et arrêtent, outre le médecin et quelques patientes Jean Moulin, Raymond Aubrac et André Lassagne de Libération-Sud. Henry Aubry et René Hardy, tous deux membres de Combat (Hardy étant aussi en charge du Nap-fer), le colonel Lacaze (à la tête du 4e bureau de l’AS), le colonel Schwarzfeld, responsable du mouvement lyonnais France d’abord, ainsi que Bruno Larat, un agent londonien qui avait rejoint la France, en février 1943, pour renforcer le service de liaisons aériennes et maritimes.

Tous les prisonniers, à l’exception de Hardy qui réussit à s’enfuir sont dirigés avenue Berthelot à l’École de Santé militaire, siège du Sipo-SD, puis emprisonnés à Montluc. Cette arrestation scellera le destin de Jean Moulin, de Bruno Larat et du colonel Schwarzfeld. L’identité de Moulin ne fut percée à jour par Barbie que le 24 ou 35 juin. Cette vague d’arrestations fait suite à celles qui avaient été effectuées en Provence en avril 1943. Elle avait conduit au démantèlement de filières (122 personnes arrêtées dont 17 relâchées faute de preuves suffisantes) et au retournement d’un agent marseillais, Jean Multon dit Lunel. Sur ses indigations tout s’enchaîne.

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Jean Moulin

 Le SD de Marseille intercepte un message fixant rendez-vous entre René Hardy et le général Delestrain. Le 7 juin Hardy prend le train de nuit Paris Lyon pour rencontrer un responsable de la Résistance-fer. Il n’aurait pas eu connaissance de la réunion parisienne du 9 juin. Pendant le trajet, il est arrêté sous son vrai nom à Chalon-sur-Saône et conduit à Lyon au siège du SD, dirigé par Barbie, où il aurait accepté de travailler pour les Allemand. Une semaine plus tard, il réapparaît à Lyon, le 9 juin, le SD arrête le général Delestrain bien que Hardy n’y soit pour rien. Prévenu de cette arrestation, Jean Moulin décide de tenir, le 21 juin une réunion consacré à l’Armée secrète, avec l’intention de nommer des responsables intérinaires, Raymond Aubrac pour la zone nord, le colonel Schwarzfeld pour la zone sud.

Les soupçons

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René Hardy lors de son premier procès, janvier 1947

Bien qu’il soit reconnu comme un résistant authentique, une partie des résistants soupçonnent immédiatement René Hardy, présent à la réunion de Caluire, alors qu’il n’était pas convié, d’avoir provoqué un gué-apens qui a abouti à son arrestation et à celle de ses camarades. Il est le seul à avoir réussit à s’échapper. Caché dans un fossé, blessé au bras par un chauffeur allemand, il se réfugie chez une amie, madame Damas. La police française le récupère et le transfère à l’hôpital de l’Antiquaille; il s’échappe à nouveau et gagne le Limousin où il est hébergé par les époux Schmitdt. Presque tous les membres de Combat, Pierre Guillain de Bénouville en tête, font bloc derrière Henri Frenay pour le défendre. Au contraire, les autres responsables de mouvements, Pascal Copeau de Libération et Eugène Claudius-Petit pour Franc-Tireur sont convaincus de sa culpabilité.

Plusieurs documents à charge figurent dans les dossiers d’instruction, entre autre l’intérogatoire du 25 juin 1943 par le commissaire de police de sureté à l’hôpital de l’Antiquaille. Le rapport postérieur du commissaire Henri, de son vrai nom Charles Porte (août 1943), signale qu’Hardy accumule les imprudences, faisant des déclarations superflues à la police de Vichy. En juin 1944, Hardy est interrogé par la Sûreté militaire d’Alger. Malgré une accumulation de faits troublants, il est conclu à la non-culpabilité de Hardy. La découverte en septembre 1944, au siège du Sipo-SD de Marseille (rue Paradis), par les services de la DGER (services secrets), d’un document que l’on nomme le rapport Flora, daté du 19 juillet 1943, entraîne l’inculpation de René Hardy comme agent double, entrée au service du SD et responsable des arrestations de Caluire. De plus, la saisie dans les papiers de la Wilhemstasse (ministère des Affaires étrangères du IIIe Reich) d’un rapport, le rapport Karltenbrunner, daté du 29 juin 1943, est de nature à conforté la thèse de la culpabilité. Suivent alors deux procès.

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École de service de santé militaire, avenue Berthelot, siège de la Gestapo à Lyon

Les procès

Le premier procès s’ouvre en janvier 1947 devant la cour de justice de la Seine, compétente pour traiter des affaires de trahison dans une atmosphère d’affrontements entre résistants, sur fond de guerre froide. Le PCF accuse Hardy et ses protecteurs Henry Frenay et Pierre Guillain de Bénouville. Finalement Hardy est aquitté au bénéfice du doute, le 24 janvier 1947. Deux mois jour pour jour après son aquittement, Hardy doit avouer, après avoir été reconnu par un agent de l’agence des wagons-lits et suite à la découverte de billet de sa couchette, qu’il avait bien été arreté dans la nuit du 7 au 8 juin 1943 et tranféré à Lyon pour y être interrogé à l’École de Santé militaire par Barbie, chef de la section IV du DS.

Son arrestation a été confrontée par le témoignage de Cressol, qui a partagé le même compartiment qu’Hardy et qui a été témoin de la scène. Autre témoignage interessant : celui de Lazare Rachline dit Rachet expliquant qu’Hardy lui aurait dit, sachant qu'il connaissait Bénouville : si je suis arrêté, veuillez prévenir Bénouville que Lunel est dans le train. Incarcéré, Hardy est renvoyé devant le Tribunal militaire permanent de la Seine.
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Couloir de la prison de Montluc

Souvre le second procès le 24 avril 1950. La nouveauté de l’intruction tient à ce que, pour la première fois,  sont sollicités les Allemands qui ont participé aux arrestations de Caluire, notamment Klaus Barbie. Celui-ci affirme haut et fort qu’Hardy a livré à la Gestapo non seulement le programme de sabotage-fer mais qu' il a indiqué une réunion des chefs de la Résistance le 21 juin 1943, finalement Hardy est aquitté à la minorité de faveur, en mai 1950, car la condamnation n’a pas été acquise à la majorité d’au moins deux voix, requise selon le code de la justice militaire.

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Dans le rapport Flora rédigé par le responsable du SD de Marseille, Ernst Dunker-Delage et s’appuyant sur les révélations de Jean Multon alias Lunel, il est écrit qu’Hardy, connu par les Allemands sous le pseudonyme de Didot, a été arrêté sur les instigations de Multon alors qu’il se rendait à Paris. Conduit à la Gestapo de Lyon, il a été utilisé comme un contre-agent, ce qui a permis de faire arrêter le 25 juin à Lyon Moulin, alias  Max, alias Regis, délégué personnel du général De Gaulle, président du Comité directeur des MUR, en même temps que cinq chefs des mouvements unis. (Selon les versions de Daniel Cordier reprise par Jean-Pierre Azéma la date du 25 juin mentionnée pour les arrestations est en réalité celle du jour où Jean Moulin a été identifié. Il aurait été identifié grâce à des aveux d’Henri Aubry qui a lâché le nom sous la torture). Ce qui est sûr, c’est que le rapport Flora, découvert en septembre 1944, sera l’une des pièces à charge dans les procédures intentées contre Hardy. Ajoutons à cela que Multon n’a jamais varié dans sa déposition et qu’il a toujours affirmé que Hardy avait donné la réunion de Caluire.

Dans les documents des Archives du tribunal militaire du second procès, on constate qu'un grand nombre de témoins mettent l’accent sur le comportement pour le moins troublant d’Hardy. Pratiquement tous les rescapés de Caluire, qu’il s’agisse d’Aubrac de Lacaze ou d’Aubry, impute leur arrestation à Hardy. Ainsi Aubrac : j’ai pensé dè le premier jour qu’il était impossible qu’un homme ait pu s’évader sans la complicité des Allemands. Il en va de même pour l’évasion de l’hôpital. De son côté, le colonel Lacaze affirme que : si Hardy n’avait pas eu connaissance de la réunion, nous n’aurions pas été arrêtés.

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Aubry accuse également Hardy d’avoir été à l’origine des arrestations. En revanche, Henri Frenay et Pierre Guillain de Bénouville sont persuadés du contraire. Les témoins directs de la scène de Caluire, comme le Dr Dugoujon, Marguerite Brossier (la femme de ménage), Claude Rougis (un cantonnier) s’étonne du manque de zèle des Allemands à poursuivre le fuyard. Le directeur de l’hôpital où il est soigné aurait appris par un ami chargé des services du contre-espionnage que Hardy était un agent double.  Les témoignages allemands confortent la thèse de la culpabilité. Barbie reconnaît que René Hardy s’est toujours montré compréhensif et que, sa première arrestation, il a accepté de travailler pour lui et a été vite libéré. Il affirme qu’une mise en scène a été organisée par Hardy et par lui-même et que l’opération de Caluire a réussi.

En l’état actuel des sources, la responsabilité des arrestations de Caluire et de la chute de Max pèsent sur trois hommes, tous les trois membres du groupe Combat Henry Aubry, Pierre Guillain de Bénouville, René Hardy. Il semble bien que ce dernier ne soit pas rendu à Caluire de sa propre initiative. Si l’on s’en tient à la déclaration d’Aubry en 1945, c’est lui qui aurait parlé à Hardy de la réunion mais ce serait Bénouville (Barrès) qui aurait prévenue Hardy de la tenue d’une réunion pour désigner le remplaçant du général Delestrain. Au sein de Combat, il avait été décidé par Barrès qu’Hardy m’acompagnerait à la réunion pour me soutenir. Dans sa déposition du 4 mai 1948, Bénouville affirme que c’est bien Aubry qui l’a averti de la réunion.

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Carte de membre du jury au contre procès de René Hardy (recto verso)

J’ai dû dire à Aubry qu’étant donné qu’Hardy était revenu parmi nous, il était nécessaire qu'il assiste à la réunion. Le but de cette réunion était de désigner le successeur de Delestrain. Cette question m’intéressait directement et je voulais que notre point de vue prévale. Je savais que Max tenterait d’imposer son point de vue dans la discussion et je voulais que nos délégués soient en nombre. Celui qui devait succéder à Vidal ne devait pas être considéré comme dépositaire du commandement, mais simplement à titre de délégué technique, attaché par Londres à l’état-major de l’AS. Pour l’heure, compte tenu des dossiers et des archives consultées, il ressort qu’il y a eu des imprudences. Outre Aubry, l’une des responsabilités vient de Bénouville qui demande à René Hardy, alors responsable de Sabotage-fer et membre de Combat, d’épauler Aubry pour imposer le point de vue de Combat dans le contrôle de l’AS. Ayant eu connaissance de l’évantuelle arrestation de René Hardy dans le train qui le conduisait à Paris, il aurait pu s’étonner de le voir réapparaître une huitaine de jours après et ne pas faire appel à un résistant suspect, le mettre au vert comme le voulait les consignes.

Or, il est le premier à juger sa présence nécessaire pour neutraliser les avis de Jean Moulin. Au moment où ce dernier entend faire exécuter strictement les directives de Londres, les responsables de Combat souhaitent contourner son autorité et celle de la France. Pour s’entendre avec les services américains que Bénouville avait approchés au printemps 1943 pour en obtenir des fonds. Aubry et Bénouville ont commis une erreur en ne renseignant pas Jean Moulin de la présence d’un militant suplémentaire à la réunion. Le délégué du général De Gaulle s’est montré surpris de la présence de René Hardy à Lyon alors qu'il aurait du être à Paris et qu’il n’était pas invité. Pour autant a-t-on le droit de charger René Hardy? Est-il allé en pleine connaissance de cause à Caluire? S’est-il laissé piéger? C’est ce que Hardy a toujours soutenu. Jean-Pierre Azéna écrit : il n’est impossible qu’il ait pu se livrer avec Barbie à une sorte de poker menteur, devenu un piège dont il porte la responsabilité. Quoiqu’il en soit, le rapport Flora et le rapport Kaltenbrunner pèse lourdement dans le sens de la culpabilité de Hardy.

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Henry Frenay témoigne lors du 2e procès de René Hardy, 2 mai 1950

Les enjeux politiques

Enfin on ne doit pas oublier les enjeux politiques de la réunion de Caluire. À ce moment-là, la crise est ouverte entre Jean Moulin et un certain nombre de responsables des MUR avant tout, ceux de Combat. Ces derniers entendaient affirmer leur autonomie tant vis-à-vis de Moulin, qui voulait réintroduire les partis politiques au sein du Conseil national de la Résistance qu’à l’égard de la France libre. La tension était à son comble entre Rex et Combat, et c’est sur ce fond qu’intervient la réunion de Caluire. L’enjeu était de taille puisque Bénouville et Aubry ont cru que l’objet de la réunion était de pourvoir au remplacement immédiat de Delestraint. Combat voulait se faire entendre et faire prévaloir sont point de vue. On comprend mieu pourquoi Hardy a pu être envoyé dans une réunion à laquelle il n’avait pas été convoqué et cela contrairement aux règles de sécurité.

À leur décharge, on peut dire que les résistants ont constamment pris des libertés avec la sécurité. Reste que les légèretés prise par Bénouville avec les consignes de sécurité ont pesé lourd dans un contexte de répression accrue depuis le début de 1943. En définitive, l’affaire Caluire demeure singulière. Elle intervient sur fond de montée en puissance et donc, de fortes tensions, à l’intérieur d’une Résistance qui apparaît de plus en plus comme la seule relève politique viable. Comment dès lors s’étonner qu’elle demeure un enjeu de mémoire vivace encore aujourd’hui.


25/01/2014
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LA RÉPRESSION ALLEMANDE DANS LE LIMOUSIN JUIN 1944

Le massacre de 642 habitants du village par la division SS Das Reich en juin 1944 à Oradour-sur-Glane. L’engrenage répressif qui s’est traduit par un déchaînement de violence inouï à l’encontre des populations qui ont précédé la Libération.

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Dessin représentant les pendaisons de Tulle

Contrairement aux théâtres d’opérations à l’Est et dans les Balkans, les territoires occupés à l’Ouest ont longtemps présenté un caractère relativement paisible pour l’occupant. Les activités de la résistance s’y sont longtemps manifestées de manières souterraine sous forme de renseignement, de propagande et de filières d’évasions pour les prisonniers de guerre alliés et les fugitifs. Les quelques assassinats et attentats retantissants (L’aspirant Moser à Paris, le Feld-kommandant Hotz à Nantes, le déraillement d’Airan, etc.) ont aussitôt provoqué une violente répression qui a tout particulièrement visé les milieux communistes et juifs.

Cette disportion entre les coups portés et les représailles engendrées. A par la suite, conduit les groupes de résistance, à privilégier l’élimination préventive des ressortissants français accusés de collaborer avec l’ennemi. L’action est donc longtemps demeurée très limitée. Si des réfractaires au travail obligatoire ont bien rejoint les maquis, on est très loin de l’afflux souvent évoqué : à peine 10% des insoumis l’ont fait à l’échelle du pays, mais avec des disparités parfois régionales forte de 35% en Dordogne. Surtout, l’armement faisant défaut : les armes, les munitions et les explosifs ne seront massivement parachutés qu’après le débarquement allié en Normandie, avec des pics de largages en juillet et août.

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Le cimetière d’Oradour-sur-Glane, novembre 1944

Paradoxalement, d’avantage de conteneurs seront parachutés en septembre 1944 qu’au mois de juin précédent. C’est véritablement à partir de l’automne 1943 que le commandement allemand commence à mesurer la menace croissante, directement dirigée contre ses personnels et ses lignes de communications. Les forces de maintien de l’ordre françaises aux ordres de Vichy et jusqu’àlors seules engagées dans la répression ne disposent pas de la capacité et de moins en moins de l’énergie pour contenir les actions de plus en plus audacieuses des maquis.

Les détachements policiers allemands n’ont eux-même guèrent les moyens de réduire cette opposition. Le commandement militaire allemand en France entreprend dès lors une série d’opérations militaires de grande empleur au début de 1944, tant en Haute-Savoie (les Glières) qu’en Dordogne, Corrèze et Haute-Vienne (opération de la division Brehmer).

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Mme Roffranche, seule rescapée de l’église d’Oradour-sur-Glane 13 janvier 1953

Parallèlement vont se multipiler d’autres opérations de répression limitées dans le temps et l’espace ainsi que par les effectifs engagés. Elles n’en seront pas moins meutrières, illustrant la radicalisation de la répression : plusieurs centaines de terroristes, réels ou supposés, sont sommairement exécutés en avril et mai 1944, plusieurs milliers d’autres sont capturés. Le sauf qualificatif se produit toutefois dans les tout premiers jours de juin 1944, avant même le débarquement en Normandie. Sous la forme d’actions insurrectionnelles menées dans les régions de Clermont-Ferrand et de Limoges. Cependant, l’offensive alliée sur le continent change radicalement la donne : Non seulement les sabotages se multiplient sur tout le territoire, mais le foyer insurrectionnel dans le Massif central et le Limousin est désormais situé derrière le nouveau front qui s’est ouvert à l’ouest. Le fait est particulièrement inquitant pour le commandement allemand qui ne dispose que d’un nombre relativent faible de troupes pour contrôler les territoires de l’encienne zone non occupée.

Une mission de répression à part entière

Face au péril, le commandement allemand à l’ouest décide, le 7 juin, de frapper un grand coup avant que les maquisards n’en viennent à proclamer leur propre république. Des efforts assez considérables sont menés pour coordonner la riposte entre les différents services de commandement à l’ouest (en charge des troupes opérationnelles), du commandant militaire en France (en charge de la sécurité et du maintien de l’ordre) enfin du chef SS et de la police de France. Le 7 juin ce sont clairement les bureaux d’opérations et contre-espionnage du comandement à l’ouest qui donnent à l’opération de répression toute sont envergure. Au fil des heures, les forces prévues pour être engagées contre le maquis vont être progressivement étoffées. Seule un régiment de sécurité et le groupe de reconnaissance de la division Das Reich étaient ainsi prévus en fin de matinée. En début de soirée, à l’annonce de la situation est effrayant à Tulle, il est finalement décidé d’y engager la 189e division de réserve (PC à Clermont-Ferrand) et tous les éléments mobiles de la 2e division blindée Das Reich (PC à Montauban).

Le bombardement de la ville de Saint-Amand-Montrond, annoncé comme étant aux mains du maquis, est un temps envisagé, avant d’être finalement écarté. Ordre est néanmoins donné de lancer dès le 8 juin une opération contre la ville en guise d’intimidation (Abschreckung), avant le déclenchement de l’opération dans le Cantal. Enfin le chef de l’état-major du commandant de l’ouest allemand est conscient que la vitesse est  un facteur capital pour enrayer l’insurrection en cours. À rebours d’une version longtemps colportée, cette opération s’inscrit donc dans le cadre exclusif d’une mission de répression des bandes, des groupes de résistance et autres terroristes Selon la terminologie allemande de l’époque.

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Heinz Lammerding (à droite sur la photo) à Thouars, 10 avril 1944

Autrement dit la division SS n’a pas été retardée dans le Limousin par les maquisards alors qu’elle se dirigeait vers le front de Normandie, puisque sa mission le 7 juin était au contraire de les combattre. Au demeurant, seuls les éléments les plus mobiles de la division Das Reich ont été engagés dans l’opération visant à dégager les régions de Tulle et Limoges, soit un peu plus de la moitié de ses effectifs (environ 10 000 hommes sur 18 000). L’un des bataillons demeuré à l’arrière allait d’ailleur être engagé dans les Pyrénées, se rendant coupable d’une série d’exactions, notamment à Marsoulas et Mazères-sur-Salat. C’est seulement le 9 juin, vers midi, que la division SS a reçu l’ordre de faire mouvement vers le front de Normandie à partir du 11 du mois.

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Vue aérienne d’Oradour-sur-Glane

Une volonté de carnage

La journée du 7 juin a été celle de la mission. Le 8 sera celle des consignes. Un appel téléphonique du général d’armée Jodl, chef de l’état-major opérationnel de la Wehrmacht, va en effet contribuer à radicaliser l’opération de répression. Relayant sans doute les critiques d’Hitler dont il est le plus proche conseiller militaire, il va reprocher en terme énergiques à l’état-major du commandant de l’ouest sa pusillamité dans le Massif central, exigeant de lui d’intervenir par les moyens les plus sévères et les plus sanglants. Et de poursuivre : depuis des semaines figure dans les rapports du commandant militaire (en France) : 1 terroriste abattu, 35 capturés, ce devrait être le contraire 35 exécutés, 1 capturé. Cet appel en milieu de journée, le 8 juin va sceller les conditions dans lesquelles se déroulera l’opération. Se sachant lui-même étroitement contrôlé, l’état-major du commandement de l’ouest répercute cette directive par écrit le jour même, récusant par avance toute idée de demi-succès et prônant les mesures les plus sévères pour frapper les maquis, mais aussi pour intimider les habitants, afin que leur passe une fois pour toute l’envie d’accueillir les groupes de résistance. En souhaitant que ses opérations servent d’avertissement à l’ensemble de la population il jusitifiait l’extrême brutalité de l’engagement par la volonté de rétablir au plus vite l’ordre, et ainsi éviter de plus lourdes pertes dans les rangs des troupes allemandes et de la population en cas de prolongation de l’insurrection.

La division SS Das Reich, un organe d’exécution de la terreur

La discipline et l’obéissance sont certes deux vertus cardinales sur lesquelles repose l’organisation militaire, reste que dans l’accomplissement d’une même mission, les exécutants peuvent adopter des comportements diamétralement différents. Dans le cas de la division SS Das Reich, de telles consignes valait en fait quitus pour la mise en œuvre de sa politique répressive expérimentée au cours des dix premiers mois d’engagement sur le front de l’Est. Le mot d’ordre en cas d’engagement contre les partisans était alors qu’il valait mieux mille Russes morts en trop qu’un seul en moins. En d’autres termes, la simple suspicion tenait lieu de culpabilité et justifiait l’exécution. Quoiqu’aveugle, cette répression était contrôlée précisément pour éviter les initiatives individuelles et maintenir la discipline de la troupe. Aussi, l’ordre d’exécution devait relever habituellement au moins du chef de compagnie.

De son côté, le nouveau divisionnaire, Heinz Lammerding, partageait cette approche et avait lui-même coordonné la lutte anti-partisans sur les arrières du front de l’Est pendant quelques mois en 1943. Affranchi d’un carcan de l’admibistration militaire allemande en France qui lui reprochait encore me mai 1944 les excès de ses troupes, il pouvait dès lors appliquer les mesures qu’il avait suggérées le 5 juin dans un mémorandum où il préconisait la pendaison comme peine de mort infâmante.

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Parcours par route de la division Das Reich du Sud-Ouest à la Normandie, entre mai-juin 1944

En fait dès le 8 juin, tous les éléments étaient réunis pour que les exactions devenues si banales à l’Est soient appliquées dans le Limousin : une mission de répression, des consignes de violence, une large marge de manœuvre accordée aux unités engagées sur place, enfin un acadrement SS prêt à exécuter la mission de manière radicale. La pendaison de 99 otages (et 8 habitants tués) à Tulle et le massacre de 642 habitants à Oradour-sur-Glane (parmi d’autres exactions perpétrées dans le Sud-Ouest par la division) sont donc l’aboutissement d’un engrenage implacable.

Mise en perspective des crimes de guerre allemands en France

L’idéologie nazie n’est certe pas étrangère à ces crimes de guerre, mais en faire la cause unique serait très réducteur. Comme la démontré Peter Lieb dans son étude sur les pratiques de guerre allemandes en France pendant la Seconde Guerre mondiale, quatre facteurs ont été chacun à des degrés divers, déterminants au sein des unités qui ont perpétré les pires exactions. L’expérience de la guerre d’anéantissement à l’Est est incontestablement le premier d’entre eux. Les formations qui y ont été acquis une culture de guerre extrêmement brutale, inspirée par d’évidentes considération idéologique. Qu’elles ont été transposées en France lorsqu’ elles se sont trouvées en présence d’une situation similaire. En ce sens, il n’est guère surprenant de voir le général Walter Krüger, commandant du 58e corps d’armée blindé et vétéran du front de l’Est, couvrir les premières exactions commises par la division SS Das Reich en mai 1944, face aux récriminations de l’administration militaire en France.

Deuxièmement, la durée de l’engagement dans la lutte contre-insurrectionnelle a pu en soi conduire une unité à perpétuer des crimes contre la population, comme cela a été le cas de la 157e division de réserve dans les Alpes et le Jura dont l’action s’est radicalisée au fil des mois en 1944. Troisièmement, la conscience d’appartenir à une unité d’élite a indubitablement constitué un facteur déterminant. Que les soldats des divisions blindées, les parachutistes ou les troupes SS se retrouvent de manière récurrente sur les bancs des accusés ne relève en aucun cas du hasard.

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Procès de 22 membres de la division Das Reich, responsables du massacre d’Oradour-sur-Glane au tribunal militaire de Pessac (Gironde), 12 janvier 1953

La volonté de performance s’est conjuguée à celle de s’imposer à un ennemi refusant ouvertement le combat, et pour cette raison dédaigné. Sept des dix massacres les plus importants en France en 1944 sont le fait d’unités de la Waffen-SS qui sont aussi quasiment les seules troupes à avoir exécuté des femmes et des enfants. À cet égard, il apparaît presque inéluctable que la division SS Das Reich, combinant ces quatre facteurs d'espérience de la guerre à l’Est, l’expérience de la guerre anti-partisans, puissant esprit de corps, endoctrinement, ait été la formation qui se soit singularisée par les crimes qu’elle a perpétré en France.

 

 


25/01/2014
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LES CAMPAGNES DE TUNISIE ET D’ITALIELE SECOND FRONT OUBLIÉ

La  campagne de Tunisie, longue épilogue d’un combat qui a opposé les Alliés au force de l’Axe en Afrique du Nord. Un lutte acharnée allait s’en suivre en Italie où les troupes du général Juin devaient s’illustrer au Monte Cassino. Un épisode qui constitue une étape décisive dans la victoire contre le Reich.

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Défilé des troupes alliées dans Bizerte (Tunisie), le 7 mai 1943

Le 8 novembre 1942, les Alliés lance l’opération Torch et débarquent en Afrique du Nord française. Réagissant prestement, l’Axe parvient à établir une solide tête de pont en Tunisie, en expédiant sur ce nouveau front 175 000 hommes et 550 blindés, entre novembre 1942 et janvier 1943. Cet ensemble constitue la 5e Panzerarmee du général von Arnim. Le 17 novembre, tandis que le sud tunisien tombe sous le contrôle de l’Axe, les premiers contacts sont établis entre les forces françaises de Tunisie et les troupes alliées qui avancent depuis l’Algérie. La première tentative anglo-américaine en direction de Tunis amène les Alliés à 20 km du port mais ils sont stoppés et finalement repoussés, après avoir subi d’importantes pertes.

Les Allemands reprennent l’initiative en repoussant les forces alliées qui subissent de cuisant revers, notamment à Tébourba, en décembre 1942. La première phase de la campagne de Tunisie s’achève de façon décevante pour les Alliés. Il n’est plus question pour Eisenhower de prendre à revers la Panzerarmee de Rommel, laquelle comprend le mythique Afrikakorps, qui bat en retraite depuis El Alamein, en Égypte. La campagne va s’éterniser pendant six mois, mettant aux prises des belligérants sur un terrain très montagneux favorisant le défenseur. Pendant la deuxième phase de la campagne en janvier-février 1943, l’Axe garde l’initiative en lançant une série de contre-attaques. Les premières opérations, qui visent à s’assurer le contrôle d’importants cols, sont un franc succès.

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Tirailleurs marocains à Pont-du-Fashs, mai 1943

Elles malmènent les forces françaises du 19e corps d’armée du général Koeltz, sous-équipées et mal soutenues par les Américains. Depuis le début de la campagne, l’armée française a perdu plus de 8 000 hommes. Début février Rommel, enfin parvenu en Tunisie, soumet un plan visant à contraindre les forces alliées à se retirer en Algerie. La 5e Panzerarmee doit frapper à partir du col du Faïd, tandis que l’Afrikakorps attaquera un peu plus au sud. L’offensive est déclenchée le 14 février, le 20, bousculant un adversaire peu aguerri, les vétérants de Rommel s’emparent de la passe de Kesserine. Loffensive marque toutefois le pas et doit être interrompue avant d’avoir atteint ses objectifs. Les Américains sont néanmoins désorganisés et ont perdu 7000 hommes, près de 200 chars et autant de pièces d’artillerie ainsi que des centaines de Jeeps, camions et hafl-tracks. Les directives du haut commandement italien et la mauvaise volonté du général von Arnim, qui a gardé d’importantes réserves de panzer, ont empêché les forces de l'Axe de remporter une victoire décisive.

 Pendant ce temps dans le sud, la 8e Army de Montgomery représente une nouvelle menace. Rommel devenu le chef du Heeres –Gruppe Afrika, constitué de la la 5e Panzerarmee et de la 1er armée italienne (lex-Panzerarmee retraitant d’Égypte), est donc contraint de l’attaquer à Medenine, le 6 mars. Au lendemain de cet échec cuisant, il cède son commandement à Arnim et quitte l’Afrique par avion, pour ne plus jamais y revenir.

Les Alliés ont désormais l’initiative jusqu’à la fin des opérations. Au sud le 16 mars, la 8e Army se lance à l’assaut de la 1re armée italienne du général Messe qui s’appuie sur les positions de la ligne Mareth. Le lendemain, le 2nd US Corps de Patton attaque à son tour et s’empare de Gafsa, puis il reçoit l’ordre de menacer les arrières de l’ennemi en se dirigeant vers Makinassy. Les troupes germano-italiennes offrent cependant une résistance sérieuse et Messe réussit à rétablir sur l’ouer Akarit, avant de se retiter en bon ordre en direction d’Enfidaville. La 8th Army après son long périple depuis l’Égypte a rejoint ses alliés américains, venus de l’autre côté de l’Atlantique. Le 11 avril, la 8th Army et la 1st Army qui opèrent leur jonction à Kairouan, vont pouvoir agir de concert, La grande offensive interalliée qui doit aboutir à la conclusion de la campagne est baptisée Vulcan.

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La Tunisie

La situation logistique du Heeres-Gruppe Afrika est alors catastrophique la supériorité numérique alliée est écrasante (500 000 hommes contre 175 0000). La 8th Army part la première à l’attaque le 19 avril mais la défense s’avère solide dès le début des opérations. La lutte dans les djebels est acharnée et les soldats germano-italiens, bien armés, se révèlent très combattifs. Cette offensive généralisée, de plus de 20 divisions alliées contre un ennemi affaibli, n’est donc pas parvenue à briser la défense adverse.Il faudra attendre le 6 mai, pour l’assaut final soit enfin donné avec l’opération Strike. Le général von Arnim ne peut qu’ordonner à ses deux armées de se replier : la 5e Panzerarmee part vers Bizerte et la 1re armée italienne vers la péninsule du cap Bon. Une résistance sporadique se poursuit pendant quelques jours, puis les reditions se succèdent.

Le 10 mai un détachement de la force L du général Leclerc entre symboliquement à Tunis. Arnim se rend le 11 mai, puis Messe le 13. Les Alliés ont capturé environ 250 000 prisonniers depuis le début de la campagne. Les conséquences de la défaite de Tunisie sont plus graves pour l’Axe que celle de Stalingrad. La fin de l’Italie fasciste est proche. Pour les Allemands, elle signifie la perte de nombreuses unités d’élite. Du fait des pertes subies par les forces de l’Axe en Afrique du Nord, celles-ci seront en nombre insuffisant pour assurer l’inviolabilité de la forteresse d’Europe par le sud.

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Débarquent et progression des Alliés en Italie en 1943

Enfin, l’armée française est de retour au combat avec des effectifs conséquents. La Tunisie aura constitué pour l’armée américaine un terrain essentiel, avant d’affronter la Wehrmacht dans la campagne décisive ce qui ouvrira en Normandie un juin 1944.

La campagne d’Italie

Préparés par les états-majors alliés avant même la conclusion de la campagne de Tunisie, l’invasion de la Sicile par les Alliés le 10 juillet 1943, l’opération Husky met l’Italie en première ligne des opérations militaires. Ces revers provoquent la chute de Mussolini, qui survient le 23 juillet. Début août, la difficile victoire des alliées en Siciles est toutefois bien amère. Succès stratégique allié, elle n’en est pas moins un succès tactique allemand retentissant. Commencée dès le 11 août, l’évacuation des forces de l’Axe vers Calabre permet le franchissement du détroit à 110 000 soldats. Le 9 septembre 1943, les Alliés débarquent à Salerne. Radio-Rome annonce la reddition inconditionnelle de l’Italie. Les Allemands ne sont pas pris au dépourvu et l’opération Achse invasion et désarmement de l’Italie est aussitôt déclenchée.

La Wehrmacht occupe les trois quart du pays et Mussolini, libéré, a reconstitué une république fasciste à Salo. L’Axe ne s’est donc pas complètement effondré en Méditerranée. De précieuses divisions, dont de nombreuses unités d’élite, sont alors déployées par les Allemands en Italie. En mai 1944, on y dénombre 26 divisions allemandes et 6 divisions italiennes fascistes. Des effectifs conséquents : 450 avions, 450 chars, 360 000 combattants, répartis dans les 17 divisions qui se trouvent nobilisées sur le front.

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Montée en ligne des Tirailleurs du 6e RTM sur le front français, d’Italie, près du village de Vitticus, 24 février 1944

Après l’échec de la contre-attaque sur Salerne, les Allemands réussissent une retraite qui constitue un modèle du genre. Hitler, dont l’aversion pour tout abandon de terrain à l’ennemi est bien connue, est convaincu par le général Kesselring (nommé commandant en chef en Italie) de la possibilité d’arrêter les Alliés sur la ligne Gustav, qui s’étire entre Ortona et l’embouchure du Garigliano. La pièce maîtresse de cette ligne est constituée par le massif du mont Cassino. Au sud de cette ligne, des rivières et des crêtes offrent des lignes de défenses parallèles entre elles et perpenticulaires à l’axe d’avancée des forces alliées. Comme les montagnes tunisienne et sicilienne, la ligne Gustav constitue un véritable cauchemar pour les troupes alliés qui piétinent devant les défenses allemandes, entre décembre 1943 et mai 1944.

Quatre batailles sont livées pour enfoncer le verrou de Cassino (105 000 pertes alliées contre 80 000 pour les Allemands), le débarquement à Anzio (21 janvier 1944) sur les arrières allemands ne débouchant malheureusement pas sur la percée tant espérer. À la surprise de nombreux observateurs, la bataille est remportée à Cassino, en mai 1944, grâce à l’intervention dicisive des troupes françaises du général Juin. Avec audace, le corps espéditionnaire français enlève de puissantes positions défensives. De l’impressionnant observatoire de Monte Majo, où est hissé un immense drapeau tricolor, les Français peuvent diriger le tir de près de 400 pièces d’artillerie. Le soir du 13 mai, alors qu’américains et Britanniques piétinent, la ligne Gustav est rompue dans le secteur français.

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Le général Juin et les généraux alliés Clark et Alexander à Sienne, 19 juillet 1944

Malgré la fatigue provoquée par deux jours d’âpres combats, les Français partent à la poursuite de l’ennemi qui bat en retraite. Risquant d’être pris à découvert, les défenseurs de Mont Cassino sont donc contraints de se replier à leur tour. L’allant et l’efficacité des toupes françaises qui ont à cœur d’effacer l’humiliation défaite de 1940. Sont une surprise pour les Allemands. Kesselring ne peut s’empêcher de reconnaître la qualité des troupes du général Juin. Cependant, si les Américains entre dans la ville Eternelle le 4 juin l’armée allemande n’est pas détruite et la campagne d’Italie est loin d’être finie. Les Alliés sont, une nouvelle fois bloqués à la fin de l’été sur une formidable ligne de défense. La ligne Gothique. En 1945 toutefois, le Reich est aux abois et ne peut plus faire face à l’énorme machine de guerre alliée qui le détruit inexorablement de toute part.

Le front italien s’effondre à son tour et le 2 mai, les forces armées allemandes en Italie capitulent. Les armées alliées ont donc finalement gagné cette difficile et coûteuse campagne d’Italie, un front secondaire qui n’a pas moins nécessité des moyens considérables et dont l’impact sur l’évolution de la guerre n’est pas à négliger, Outre la diversion d’importantes forces allemandes vers le sud, le succès d’Overlord tient en partie à l’expérience acquise par les forces alliées en matière d’opérations amphibies et aéroportées au cours des débarquements et des parachutages d’Afrique du Nord. De Sicile, de Salerne et d’Anzio.


24/01/2014
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L’INSURRECTION DU GHETTO DE VASOVIE

Le soulèvement du ghetto de Varsovie un des événements les plus marquants de l’histoire de la résistance armée des Juifs contre les nazis. Une évocation inséparable de l’histoire du centre de mise à mort de Treblinka, où ont été assassinés la majorité des Juifs de Varsovie et près du tiers des Juifs de Pologne.

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Des juifs raflés attendent leur déportation sur l’Umchlagplatz, Pologne, été 1942

Après l’invasion nazie en septembre 1939, la Pologne est divisée entre l’Allemagne et l’URSS. La partie centrale du pays devient un protectorat allemand, le gouvernement général. Dès le mois d’octobre 1939, les nazis créent des ghettos dans les villes principales afin d’y enfermer les Juifs. Les autorités nazies y ordonnent la mise en place de Conseils juifs (Judenräte) chargés officiellement de représenter la société juive auprès des autorités d’occupation et d’organiser la police juive. Crée en novembre 1940, le ghetto de Varsovie regroupe tout d’abord les Juifs de la ville, soit environ 360 000 personnes. 90 000 personnes supplémentaires rejoignent ce quartier ceinturé de murs et gardés par un triple cordon de police (allemandes, polonaises, juive). Le ghetto, qui représente environ 8% de la superficie de la ville de Varsovie, renferme 40 % de ses habitants. Les Allemands organisent la surpopulation on recense plusieurs dizaines de personnes par appartement et planifient la pénurie, la disette, puis la famine. La mortalité y est effrayante.

En août 1941, Emmanuel Ringelblum écrit : Dans les rues, les gens passent avec indifférence devant les cadavres. Après la faim, c’est le typhus qui préoccupe le plus l’opinion du ghetto; en ce mois d’août, il y a 6000 à 7000 malades à domicile, et 900 dans les hôpitaux. Près de 80 000 personnes meurent de faim, de froid ou de maladies avant même le début des déportations vers le centre de mise à mort de Treblinka.

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Homme sautant d’un immeuble en flammes lors de l’insurrection du ghetto, Pologne, mai 1943

La grande déportation des juifs du ghetto débute le 22 juillet 1942. Elle est inscrite dans le cadre de l’Aktion Reinhard qui vise à l’élimination des Juifs du Gouvernement général et à conduire à l’édification des centres de mise à mort de Belzec (en mars) et de Sobibor (en mai) et de Treblinka (en juillet). À cette date, un ordre allemand publié par le Conseil juif indique que tous les habitants du ghetto vont être déportés à l’est. À l’exception des Juifs travaillant dans des entreprises industrielles allemandes et des principaux membres du Judenrät.

Il est ainsi demandé au Conseil juif de fournir des listes pemettant de déporter 6 000 juifs par jour. Adam Czeriakow, son président, tente d’optenir des exemptions. Comprenant qu’il ne peut éviter la déportation et la mort des Juifs du ghetto, notamment des enfants, il se suicide le 23 juillet 1942. Il explique son geste dans une lettre adressée au Conseil Juif. Je ne peux livrer à la mort des enfants sans défense. J’ai décidé de m’en aller. Ne le traitez pas comme un acte de lâcheté, ni comme une fuite. Je n'ai plus la force, mon cœur se brise de chagrin et de pitié, je ne puis souffrir d’avantage. Je suis conscient de vous laisser un lourd héritage.

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Un obus de 2 tonnes tiré par un Mörser Karl tombe sur un immeuble lors du soulèvement de Varsovie, le 28 août 1944.

Convoquées, arrêtés dans la rue, dans les immeubles, ou se rendant volontairement contre du pain, les Juifs sont regroupés sur l’Umschlagplatz d’où les convois partent pour Treblinka. Je n’ai pas le chiffre de ceux qui se portèrent volontaires pour l’Umchlag. Le minimum me semble avoir été de 20 000 personnes qui poussées par la faim, l’angoisse et le désespoir, n’avaient plus la force de lutter et n’avaient d’autre solution que d’aller volontairement à la mort. Lorsque la première vague de déportation du ghetto prend fin le 21 septembre 1942, près de 300 000 Juifs ont été envoyés à Treblinka et assassinés.

Moins de 60 000 Juifs vivent encore dans le ghetto dont à peine 36 000 officiellement recensés. Ces derniers sont essentiellement des hommes de moins de 60 ans dont les Allemands ont besoin pour leur production et pour trier et expédier les biens volés vers le Reich. Paradoxalement, comme le souligne Raul Hilberg, les Allemands avaient gardé en vie le seul groupe capable de résister. De plus, ce groupe connaissait maintenant l’existence et la finalité de Treblinka.

Profitant de cette interruption des déportations, les principales forces clandestines poursuivent leur réunion entamée en mars 1942 avec l’éphémère bloc antifasciste. Cette première organisation qui ne regroupait que les communistes et la gauche sioniste, est démantelée par la Gestapo en juin 1942. Les deux grandes unités de résistance, L’Organisation juive de combat (OJC), commandé par Mordechaï Anielewicz et apparentée à la gauche sioniste, et l’Union militaire juive, proche de la droite sioniste et de la résistance polonaise, décident de combattre ensemble. Chacun se prépare à fabriquer des bombes et à creuser des caches.

Les premières opérations sont dirigées contre les responsables de la police juive, accusée d’être complice des nazis. La police polonaise ne prenait pas part aux rafles pour le travail forcé, c’était la police juive qui était chargée de ces trites activités. Mais pendant les déportations, ils n’élevèrent pas un mot de protestation contre la tâche révoltante dont ils furent chargés : conduire leurs propres frères à l’abattoir. Entre le 18 et le 22 janvier 1943, une première tentative de liquidation du ghetto est interrompue grâce à l’action de la résistance juive armée. Emmanuel Ringelblum souligne également qu’avec les grandes déportations, lors des transferts, les cachettes acquirent une nouvelle importance. Une bonne cachette était devenue une question de vie ou de mort. La résistance polonaise commança à aider les Juifs en leur fournissant des armes et en leur permettant d’en fabriquer ainsi que des bombes, à l’intérieur du ghetto. Mais lorsqu’Himmler ordonne la liquidation total du ghetto la résistance juive ne dispose que de quelques mitraillettes et de centaines de révolvers.

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Dirigea du mouvement de jeunesse sioniste Hashomer Hatsaïr. Il meurt dans le bunker de la rue Vila le 8 mai 1943

Le 19 avril 1943, premier soir de la Pâque Juive et veille de l’aniversaire d’Hitler, les troupes Allemandes attaquent le ghetto avec 2 000 hommes et une grande puissance de feu, lance-flammes, artilleries légères et chars d’assaut. L’assaut ne surprend pas la résistance juive. En revanche, c’est la résistance qui surprend les Allemands. Marek Edelman décrit cette première phase de combat : Nous attendons seulement le moment opportun. Tout à coup explosent des projectiles inconnus (des grenades de notre fabrication), de courtes rafales de pistolet-mitrailleurs déchirent l’air. Les Allemands tentent de s’enfuir, mais leur route est coupée. La rue est jonchée de cadavres allemands. Les glorieux SS font intervenir les tanks pour couvrir le repli victorieux de deux compagnies. Aucun n’en sort vivant. À 14 h il n’y a plus d’Allemands dans le ghetto. La première victoire de l’OJC sur les Allemands est totale.

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Historien, publiciste et pétagogue, il est l’inpirateur et le dirigeant de l’organisation de résistance civile et intellectuelle Oynegchabbeat (Les délices du chabat), à l’origine de la rédaction des archives clandestines du ghetto. Ces archives, conservées à l’institut historique juif de Varsovie, constituent la principale source historique relatant la vie dans le ghetto. Il est assassiné le 7 mars 1944 dans les ruines du ghetto

Le commandant est relevé de ses fonctions, le général SS Jürgen Stroop lui succède et s’acharne, les trois semaines suivantes à vider les maisons une par une. Des quartiers entiers sont passés au lance-flammes. Les Juifs sont pouchassés sur les toits, dans les tunnels et les égouts. Ils sont asphyxiés, carbonisées, enterrés vivants dans les abris où ils se sont retranchés, certains se jettent par les fenêtres pour échapper aux flammes ou aux soldats. Ceux qui sont pris sont immédiatement liquidés. La résistance n’avait aucun plan d’évacuation, ni de contre-attaque. Le jeune  commandant Mordechaï Anielewicz indique simplement dans une lettre : Nous nous battons non pour la vie mais pour le prix de la vie, non pour éviter la mort, mais pour la manière de mourir. Le combat est inégal et sans espoir. Les Allemands assiègent le 18 de la rue Mila, centre de commandement de l'OJC, et exigent la reddition sans condition de ses membres. Essuyant un refus, ils donnent l’assaut le 8 mai 1943. La quasi-totalité de l’état-major, dont Mordechaï, y est tuée, les combats continus durant 8 jours.

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Arrestation d’un résistant combattant juif lors de l’insurrection du ghetto de Varsovie, Pologne, 9 mai 1943

Le 16 mai, Stroop fait dynamiter la grande synagogue de la rue Tlomacki. Il adresse alors un rapport à Himmler lui indiquant qu’il n’existe plus de quartier juifs à Varsovie 7000 Juifs ont été abattus, 7 000 sont envoyés à Treblinka et 40 000 autres sont déportés dans des camps de concentration ou de travaux forcés du district de Lublin. Les pertes allemandes sont peu nombreuses, 16 tués et 85 blessés. Mais c’est l’importance symbolique de l’événement qui marque les esprits tant côté juifs, que côté allemands : un millier de combattants, pratiquement désarmés, viennent de tenir tête pendant un mois à l’armée allemande, alors que le général Stroop pensait liquider le ghetto en trois jours. Cette révolte dépasse les murs du ghetto. Connue juque dans les centres de mise à mort. Elle montrera la voie et servira d’exemple lors des révoltes de Treblinka., le 2 août 1943, de Sobibor, le 14 octobre, et des Soundercommando d’Auschwitz, le 7 octobre 1944.

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Monument dédié à l'insurrection de Varsovie

La situation dans le ghetto et son insurrection étaient également connues des Alliés, grâce notamment au témoignage du résistant polonais Jan Karski, puis à la lettre adressée au gouvernement polonais en exil et plus largement aux autorités alliées en mai 1943 par Szmul Zygielbojm, représentant du syndicat juif Bund au Conseil national polonais, alors qu’elle aurait dû montrer à la face du monde la tragédie qui se déroulait en Pologne, L’insurrection du ghetto de Varsovie et ainsi devenue le marqueur de la passivité des Alliés face à l’assassinat des Juifs de Pologne et plus généralement d’Europe, tandis que la majorité d’entre eux ont déjè été mis à mort.


24/01/2014
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