LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

DE L’ARRESTATION DU 21 JUIN 1943 À L’AFFAIRE DE CALUIRE

La rencontre de Caluire du 21 juin 1943 est marquée par les affrontements internes entre Jean Moulin et les chefs de la Résistance en zone sud, rétifs à son autorité. Une réunion au cours de laquelle  il sera arrêté, puis remis à Klauss Barbie, dans des conditions qui ne sont pas élucidées. Un épisode tragique qui continue de susciter des contreverses.

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La maison du Dr Dugoujon

Le 21 juin lors d’une réunion clendestine qui se tient dans la banlieue lyonnaise, à Caluire, dans la maison du Docteur Dugoujon, une dizaine de policiers du SD (service de sécurité allemand) ainsi que les membres du Sipo (service de sureté) font irruption et arrêtent, outre le médecin et quelques patientes Jean Moulin, Raymond Aubrac et André Lassagne de Libération-Sud. Henry Aubry et René Hardy, tous deux membres de Combat (Hardy étant aussi en charge du Nap-fer), le colonel Lacaze (à la tête du 4e bureau de l’AS), le colonel Schwarzfeld, responsable du mouvement lyonnais France d’abord, ainsi que Bruno Larat, un agent londonien qui avait rejoint la France, en février 1943, pour renforcer le service de liaisons aériennes et maritimes.

Tous les prisonniers, à l’exception de Hardy qui réussit à s’enfuir sont dirigés avenue Berthelot à l’École de Santé militaire, siège du Sipo-SD, puis emprisonnés à Montluc. Cette arrestation scellera le destin de Jean Moulin, de Bruno Larat et du colonel Schwarzfeld. L’identité de Moulin ne fut percée à jour par Barbie que le 24 ou 35 juin. Cette vague d’arrestations fait suite à celles qui avaient été effectuées en Provence en avril 1943. Elle avait conduit au démantèlement de filières (122 personnes arrêtées dont 17 relâchées faute de preuves suffisantes) et au retournement d’un agent marseillais, Jean Multon dit Lunel. Sur ses indigations tout s’enchaîne.

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Jean Moulin

 Le SD de Marseille intercepte un message fixant rendez-vous entre René Hardy et le général Delestrain. Le 7 juin Hardy prend le train de nuit Paris Lyon pour rencontrer un responsable de la Résistance-fer. Il n’aurait pas eu connaissance de la réunion parisienne du 9 juin. Pendant le trajet, il est arrêté sous son vrai nom à Chalon-sur-Saône et conduit à Lyon au siège du SD, dirigé par Barbie, où il aurait accepté de travailler pour les Allemand. Une semaine plus tard, il réapparaît à Lyon, le 9 juin, le SD arrête le général Delestrain bien que Hardy n’y soit pour rien. Prévenu de cette arrestation, Jean Moulin décide de tenir, le 21 juin une réunion consacré à l’Armée secrète, avec l’intention de nommer des responsables intérinaires, Raymond Aubrac pour la zone nord, le colonel Schwarzfeld pour la zone sud.

Les soupçons

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René Hardy lors de son premier procès, janvier 1947

Bien qu’il soit reconnu comme un résistant authentique, une partie des résistants soupçonnent immédiatement René Hardy, présent à la réunion de Caluire, alors qu’il n’était pas convié, d’avoir provoqué un gué-apens qui a abouti à son arrestation et à celle de ses camarades. Il est le seul à avoir réussit à s’échapper. Caché dans un fossé, blessé au bras par un chauffeur allemand, il se réfugie chez une amie, madame Damas. La police française le récupère et le transfère à l’hôpital de l’Antiquaille; il s’échappe à nouveau et gagne le Limousin où il est hébergé par les époux Schmitdt. Presque tous les membres de Combat, Pierre Guillain de Bénouville en tête, font bloc derrière Henri Frenay pour le défendre. Au contraire, les autres responsables de mouvements, Pascal Copeau de Libération et Eugène Claudius-Petit pour Franc-Tireur sont convaincus de sa culpabilité.

Plusieurs documents à charge figurent dans les dossiers d’instruction, entre autre l’intérogatoire du 25 juin 1943 par le commissaire de police de sureté à l’hôpital de l’Antiquaille. Le rapport postérieur du commissaire Henri, de son vrai nom Charles Porte (août 1943), signale qu’Hardy accumule les imprudences, faisant des déclarations superflues à la police de Vichy. En juin 1944, Hardy est interrogé par la Sûreté militaire d’Alger. Malgré une accumulation de faits troublants, il est conclu à la non-culpabilité de Hardy. La découverte en septembre 1944, au siège du Sipo-SD de Marseille (rue Paradis), par les services de la DGER (services secrets), d’un document que l’on nomme le rapport Flora, daté du 19 juillet 1943, entraîne l’inculpation de René Hardy comme agent double, entrée au service du SD et responsable des arrestations de Caluire. De plus, la saisie dans les papiers de la Wilhemstasse (ministère des Affaires étrangères du IIIe Reich) d’un rapport, le rapport Karltenbrunner, daté du 29 juin 1943, est de nature à conforté la thèse de la culpabilité. Suivent alors deux procès.

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École de service de santé militaire, avenue Berthelot, siège de la Gestapo à Lyon

Les procès

Le premier procès s’ouvre en janvier 1947 devant la cour de justice de la Seine, compétente pour traiter des affaires de trahison dans une atmosphère d’affrontements entre résistants, sur fond de guerre froide. Le PCF accuse Hardy et ses protecteurs Henry Frenay et Pierre Guillain de Bénouville. Finalement Hardy est aquitté au bénéfice du doute, le 24 janvier 1947. Deux mois jour pour jour après son aquittement, Hardy doit avouer, après avoir été reconnu par un agent de l’agence des wagons-lits et suite à la découverte de billet de sa couchette, qu’il avait bien été arreté dans la nuit du 7 au 8 juin 1943 et tranféré à Lyon pour y être interrogé à l’École de Santé militaire par Barbie, chef de la section IV du DS.

Son arrestation a été confrontée par le témoignage de Cressol, qui a partagé le même compartiment qu’Hardy et qui a été témoin de la scène. Autre témoignage interessant : celui de Lazare Rachline dit Rachet expliquant qu’Hardy lui aurait dit, sachant qu'il connaissait Bénouville : si je suis arrêté, veuillez prévenir Bénouville que Lunel est dans le train. Incarcéré, Hardy est renvoyé devant le Tribunal militaire permanent de la Seine.
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Couloir de la prison de Montluc

Souvre le second procès le 24 avril 1950. La nouveauté de l’intruction tient à ce que, pour la première fois,  sont sollicités les Allemands qui ont participé aux arrestations de Caluire, notamment Klaus Barbie. Celui-ci affirme haut et fort qu’Hardy a livré à la Gestapo non seulement le programme de sabotage-fer mais qu' il a indiqué une réunion des chefs de la Résistance le 21 juin 1943, finalement Hardy est aquitté à la minorité de faveur, en mai 1950, car la condamnation n’a pas été acquise à la majorité d’au moins deux voix, requise selon le code de la justice militaire.

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Dans le rapport Flora rédigé par le responsable du SD de Marseille, Ernst Dunker-Delage et s’appuyant sur les révélations de Jean Multon alias Lunel, il est écrit qu’Hardy, connu par les Allemands sous le pseudonyme de Didot, a été arrêté sur les instigations de Multon alors qu’il se rendait à Paris. Conduit à la Gestapo de Lyon, il a été utilisé comme un contre-agent, ce qui a permis de faire arrêter le 25 juin à Lyon Moulin, alias  Max, alias Regis, délégué personnel du général De Gaulle, président du Comité directeur des MUR, en même temps que cinq chefs des mouvements unis. (Selon les versions de Daniel Cordier reprise par Jean-Pierre Azéma la date du 25 juin mentionnée pour les arrestations est en réalité celle du jour où Jean Moulin a été identifié. Il aurait été identifié grâce à des aveux d’Henri Aubry qui a lâché le nom sous la torture). Ce qui est sûr, c’est que le rapport Flora, découvert en septembre 1944, sera l’une des pièces à charge dans les procédures intentées contre Hardy. Ajoutons à cela que Multon n’a jamais varié dans sa déposition et qu’il a toujours affirmé que Hardy avait donné la réunion de Caluire.

Dans les documents des Archives du tribunal militaire du second procès, on constate qu'un grand nombre de témoins mettent l’accent sur le comportement pour le moins troublant d’Hardy. Pratiquement tous les rescapés de Caluire, qu’il s’agisse d’Aubrac de Lacaze ou d’Aubry, impute leur arrestation à Hardy. Ainsi Aubrac : j’ai pensé dè le premier jour qu’il était impossible qu’un homme ait pu s’évader sans la complicité des Allemands. Il en va de même pour l’évasion de l’hôpital. De son côté, le colonel Lacaze affirme que : si Hardy n’avait pas eu connaissance de la réunion, nous n’aurions pas été arrêtés.

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Aubry accuse également Hardy d’avoir été à l’origine des arrestations. En revanche, Henri Frenay et Pierre Guillain de Bénouville sont persuadés du contraire. Les témoins directs de la scène de Caluire, comme le Dr Dugoujon, Marguerite Brossier (la femme de ménage), Claude Rougis (un cantonnier) s’étonne du manque de zèle des Allemands à poursuivre le fuyard. Le directeur de l’hôpital où il est soigné aurait appris par un ami chargé des services du contre-espionnage que Hardy était un agent double.  Les témoignages allemands confortent la thèse de la culpabilité. Barbie reconnaît que René Hardy s’est toujours montré compréhensif et que, sa première arrestation, il a accepté de travailler pour lui et a été vite libéré. Il affirme qu’une mise en scène a été organisée par Hardy et par lui-même et que l’opération de Caluire a réussi.

En l’état actuel des sources, la responsabilité des arrestations de Caluire et de la chute de Max pèsent sur trois hommes, tous les trois membres du groupe Combat Henry Aubry, Pierre Guillain de Bénouville, René Hardy. Il semble bien que ce dernier ne soit pas rendu à Caluire de sa propre initiative. Si l’on s’en tient à la déclaration d’Aubry en 1945, c’est lui qui aurait parlé à Hardy de la réunion mais ce serait Bénouville (Barrès) qui aurait prévenue Hardy de la tenue d’une réunion pour désigner le remplaçant du général Delestrain. Au sein de Combat, il avait été décidé par Barrès qu’Hardy m’acompagnerait à la réunion pour me soutenir. Dans sa déposition du 4 mai 1948, Bénouville affirme que c’est bien Aubry qui l’a averti de la réunion.

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Carte de membre du jury au contre procès de René Hardy (recto verso)

J’ai dû dire à Aubry qu’étant donné qu’Hardy était revenu parmi nous, il était nécessaire qu'il assiste à la réunion. Le but de cette réunion était de désigner le successeur de Delestrain. Cette question m’intéressait directement et je voulais que notre point de vue prévale. Je savais que Max tenterait d’imposer son point de vue dans la discussion et je voulais que nos délégués soient en nombre. Celui qui devait succéder à Vidal ne devait pas être considéré comme dépositaire du commandement, mais simplement à titre de délégué technique, attaché par Londres à l’état-major de l’AS. Pour l’heure, compte tenu des dossiers et des archives consultées, il ressort qu’il y a eu des imprudences. Outre Aubry, l’une des responsabilités vient de Bénouville qui demande à René Hardy, alors responsable de Sabotage-fer et membre de Combat, d’épauler Aubry pour imposer le point de vue de Combat dans le contrôle de l’AS. Ayant eu connaissance de l’évantuelle arrestation de René Hardy dans le train qui le conduisait à Paris, il aurait pu s’étonner de le voir réapparaître une huitaine de jours après et ne pas faire appel à un résistant suspect, le mettre au vert comme le voulait les consignes.

Or, il est le premier à juger sa présence nécessaire pour neutraliser les avis de Jean Moulin. Au moment où ce dernier entend faire exécuter strictement les directives de Londres, les responsables de Combat souhaitent contourner son autorité et celle de la France. Pour s’entendre avec les services américains que Bénouville avait approchés au printemps 1943 pour en obtenir des fonds. Aubry et Bénouville ont commis une erreur en ne renseignant pas Jean Moulin de la présence d’un militant suplémentaire à la réunion. Le délégué du général De Gaulle s’est montré surpris de la présence de René Hardy à Lyon alors qu'il aurait du être à Paris et qu’il n’était pas invité. Pour autant a-t-on le droit de charger René Hardy? Est-il allé en pleine connaissance de cause à Caluire? S’est-il laissé piéger? C’est ce que Hardy a toujours soutenu. Jean-Pierre Azéna écrit : il n’est impossible qu’il ait pu se livrer avec Barbie à une sorte de poker menteur, devenu un piège dont il porte la responsabilité. Quoiqu’il en soit, le rapport Flora et le rapport Kaltenbrunner pèse lourdement dans le sens de la culpabilité de Hardy.

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Henry Frenay témoigne lors du 2e procès de René Hardy, 2 mai 1950

Les enjeux politiques

Enfin on ne doit pas oublier les enjeux politiques de la réunion de Caluire. À ce moment-là, la crise est ouverte entre Jean Moulin et un certain nombre de responsables des MUR avant tout, ceux de Combat. Ces derniers entendaient affirmer leur autonomie tant vis-à-vis de Moulin, qui voulait réintroduire les partis politiques au sein du Conseil national de la Résistance qu’à l’égard de la France libre. La tension était à son comble entre Rex et Combat, et c’est sur ce fond qu’intervient la réunion de Caluire. L’enjeu était de taille puisque Bénouville et Aubry ont cru que l’objet de la réunion était de pourvoir au remplacement immédiat de Delestraint. Combat voulait se faire entendre et faire prévaloir sont point de vue. On comprend mieu pourquoi Hardy a pu être envoyé dans une réunion à laquelle il n’avait pas été convoqué et cela contrairement aux règles de sécurité.

À leur décharge, on peut dire que les résistants ont constamment pris des libertés avec la sécurité. Reste que les légèretés prise par Bénouville avec les consignes de sécurité ont pesé lourd dans un contexte de répression accrue depuis le début de 1943. En définitive, l’affaire Caluire demeure singulière. Elle intervient sur fond de montée en puissance et donc, de fortes tensions, à l’intérieur d’une Résistance qui apparaît de plus en plus comme la seule relève politique viable. Comment dès lors s’étonner qu’elle demeure un enjeu de mémoire vivace encore aujourd’hui.



25/01/2014
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