LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

L’AFFICHE ROUGE

Reproduite dans la plupart des manuels d’histoire, l’affiche rouge est devenue l’un des symboles de la lutte clandestine contre l’occupant et Vichy. Conçue à l’origine par la propagande allemande et plancardée dans tous le pays, en février 1944, pour stigmatiser les combattants du groupe Manouchian assimilés à des terroristes étrangers, juifs et communistes. Cettte affiche, en immortalisant leur visage, les a rendu toute leur dignité. Une victoire posthume pour ces combattants de l’ombre dont l’engrenage au sein des FTP-MOI mérite d’être rappelé.

PHOTO 1.jpg
Missak Manouchian, soldat en permission en 1940

En 1939, un peu plus de deux millions d’étrangers vivent en France. À la recherche de travail ou fuyant les persécutions politiques subies dans leurs pays, des Italiens, des Allemands, des Autrichiens, des Tchécoslovaques, des Easpagnols s’installent en métropole dans des conditions d’abord précaires. Parmi eux, nombreux sont ceux qui s’engagent, dès septembre 1939, et joueront par la suite un rôle non négligeable au sein de la France libre et de la Résistance intérieur.

Les réseaux d’entraide de l’entre-deux-guerre, qui favorisaient leur intégration, sont réactivés et permettent de recruter des groupes spécifiques de résistants étrangers. Ainsi, la section Main-d’œuvre immigrée (MOI), créée en 1924 au sein du syndicat CGT unitaire, puis reprise en 1925 par le PCF, avait originellement pour but de promouvoir les actions associatives, culturelles et sportives à destination des immigrés.

PHOTO 2.jpg
Thomas Elek 18 ans

Organisée en section (roumaine, bulgare, arméniennes juive) elle permettait, entre autres, l’édition de publications en langue étrangère. Dissoute pendant la drôle de guerre. La MOI se reconstitue clandestinement, notamment grâce à l’action de ses dirigeants, dont Artur London, Marino Mazetti ou Adam Rayski. Implanté dans différentes régions, elle permet aux résistants étrangers ou d’origine étrangère de fédérer leurs actions, d’abord autour de l’édition de nombreux journaux clandestins en langue étrangère. La section juive de la MOI est particulièrement active et joue un rôle décisif dans la mobilisation de la communauté et le sauvetage des Juifs en France.

Les actions des FTP-MOI

En août 1941, les étrangers de la MOI, surtout à Paris, participent à la lutte armée dans laquelle s’engage le Parti communiste français (FTPF) dirigés par Charles Tillon, les différents groupes d’actions, dont ceux des FTP-MOI, mènent des opérations de guérilla. En région parisienne, les FTP-MOI se composent de quatre détachements (roumain, juif, italien, (dérailleurs), de deux équipes bulgare et espagnole, d’un service médical et de renseignement et, à partir de 1943, d’une équipe spéciale. Selon Denis Peschanski, l’expérience de la guerre d’Espagne, de la lutte clandestine sous les régimes autoritaires dans les années 1930, le drame des déportations et le poids de la répression sont des facteurs expliquant la part prépondérante tenue par les FTP-MOI dans la guerilla urbaine.

Il ne faut toutefois pas surestimer l’importance numérique de ces combattants de l’ombre aux actions de plus en plus spectaculaires. Ainsi, en août 1943, on recense 65 FTP-MOI en région parisienne. Au cours des six premiers mois de l’année 1943, les différentes unités de la MOI parisienne accomplissent 92 attentats dans la capitale : à côté des opérations menées contre les troupes allemandes d’occupation, une équipe se spécialise, de juillet, à octobre, dans les opérations de sabotages, qui conduisent à 12 déraillements sur les lignes de la gare de l’Est en direction de l’Allemagne.

PHOTO 3.jpg
Le général Julius Ritter abattu le 28 septembre 1943

À partir de l’été 1943, c’est Misak Manouchian, en liaison avec son supérieur hiérarchique, Joseph Epstein qui prend la direction militaire. La multiplication d’attentats et de sabotages en fait une cible privilégiée des organes de répression, notamment après que le 28 septembre 1943, le général Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire (STO) en France, a été abattu.

La traque des Brigades spéciales

Les effectifs des Brigades spéciales (SB), créées en mars 1940 au sein des renseignements généraux pour lutter contre le communisme, ne cessent de croître à partir de l’été 1941. Les enquêteurs chargés de traquer les terroristes se concentrent plus particulièrement sur les combattants de la MOI et collaborent étroitement avec les forces répressives allemandes, comme les y invite l’accord conclu le 8 août 1942 entre René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, et Karl Oberg, chef supérieur de la SS et de la police allemande en France.

Les Brigades spéciales travaillent ainsi conjointement avec les Services de sécurité allemands pour démanteler les groupes liés à la MOI et dont les actions de guérilla dans la capitale entretiennent un sentiment d’insécurité au sein des troupes de la Wehrmacht. Au cours de l’année 1942, les renseignements obtenus à la suite d’arrestations, encore peu nombreuses, au sein des organisations italiennes, yougoslaves juives et roumaines, permettent le déclenchement d’une première fillature. Elle cible, dès janvier 1943, l’organisation politique de la jeunesse juive, composée de 200 membres à Paris et en banlieu parisienne.

Le 18 mars, 57 jeunes militants de la MOI sont arrêtés avant d’être torturés puis déportés (parmi eux, Henri Krasucki, qui sera secrétaire général de la CGT de 1982 è 1992). Le 22 avril 1943, une deuxième fillature a pour objectif de décapiter toute la branche juive de la MOI. Fin juin 1943, sur plus de 150 militants suivis, 71 sont arrêtés. À la mi-novembre 1943, à l’issue de près de cent jours de traque, la troisième fillature engendre une vague d’arrestations touchant les FTP-MOI parisiens : 68 militants sont arrêtés dont la moitié sont des Juifs, majoritairement étrangers. Joseph Epstein, responsable FTPF de la région parisienne, et Missak Manouchian sont interpellés le 16 novembre 1943.

PHOTO 4.jpg
Liste des attentats FTP-MOI

L’instrumentalisation du procès

Après leur arrestation, les militants FTP-MOI sont conduits à la préfecture de police pour être intérogés par la 2e Brigade spéciale. Des photos anthropolométriques, aujourd’hui conservées dans les archives de la prefecture de police, sont prises. Les premiers jours de détention sont rythmé par la succesion d’intérrogatoires à coups de poings, de mise à l’isolement, puis de séances de torture à coups de nerf de bœuf. Acheminés ensuite au siège de la Gestapo, les résistants sont transférés par les Allemands à la prison de Fresnes dès la fin du mois de novembre 1943. La plupart des militants FTP-MOI arrêtés sont déportés à la mi-janvier 1944, à l’exception de 23 d’entre eux traduit devant une cour matiale allemande. Aucune trace du déroulement du procès ne figure dans les archives dont l’historien Ahlrich Mayer n’a pu retrouver que le verdict. Jugés dans la langue de Goethe par une cour martiale composé de trois juges militaires, d’un procureur et d’un greffier, les 23 accusés sont condamnés à mort sans possibilité de faire appel.

La presse les radios officielles et les actualités cinématrographiques profitent du procès pour relayer la campagne de propagande menée pour fustiger l’armée du crime, alors même que la présence de journalistes français et étrangers à l’audience n’est pas avérée. Entre le 18 et le 24 février 1944, la presse collaborationnistes et celle de Vichy, se contentent, pour relater le procès, de reprendre à la virgule près les notes émises par l’Officie français d’information, distillant la même prose idéologique.

PHOTO 1.jpg
Tract recto verso, édité en même temps que la célèbre affiche rouge, réalisée par le Centre d’études antibolcheviques. Office de la propagande nazie, 1944

Elle fustige des assassins juifs et étrangers, prenant leurs ordres à Moscou. On sait aujourd’hui que le procès fut expéditif : le verdict est prononcé dès le 19 février, alors que les articles publiés le même jour évoquent l’ouverture du procès. Celui-ci est censé se clore le 24 février, soit trois jours après l’exécution des militants FTP-MOI. À la radio, Philippe Henriot se sert également du procès pour appuyer ses distribes xénophobes l’arrestation et le procès des FTP-MOI son instrumentalisés par la propagande allemande, qui entend ainsi utiliser des arguments xénophobes, antisémites et anticommunistes pour discréditer la Résistance aux yeux de l’opignon françaises. Au printemps 1943, alors que l’Axe subit plusieurs défaites et que l’hypothèse d’un débarquement allié se précise, l’occupant cherche à gagner l’adhésion de la population, de plus en plus favorable aux actions de la Résistance.

Une campagne de propagande ratée

Publiée  à plus de 15 000 exemplaires l’Affiche rouge, non signée, réalisée par le Centre d’études antibolcheviques (CEA), organe de propagande allemand, montre ainsi, sur fond rouge, le visage de certains résistants du groupe Manouchian comparés à une armée du crime et stigmatisés en raison de leur origine étrangère. La composition de cette affiche reprend le code habituellement utilisés par la propagande officielle : les avis d’exécution sur lesquels figurent les noms des condamnés et la dénonciation des ennemis de l’intérieur (juifs, étrangers, communistes). Néanmoins, les dessins et caricatures, outils traditionnels de la propagande officielle, cèdent le pas au photographies montrant les condamnés et les preuves de leurs crimes. Les symboles identifiés à la Résistance tel  le V de la Victoire et les termes de libérateurs et de libération, sont détournés.

La Résistance est décrite comme un facteur de violence et de division. Cette propagande a également été relayée par la diffusion de tracts et de de brochures spécifiques fustigeant l’armée du crime, mais aussi par de véritables brûlots antisémites, au titre révélateur tel que Je vous hais. Au printemps 1944, cette campagne ne suscite pas d’adhésion de la population soumise aux privations et aux représailles de l’occupant et de plus en plus distante face à la politique de collaboration accentuée par le régime de Vichy. L’affiche rouge est même contre-productive car elle permet d’humaniser des combattants clandestins et anonymes, en mettant en avant l’engagement des militants communistes étrangers.

PHOTO 2.jpg
L’affiche, article de la revue Les Lettres françaises, édition clandestine de mars 1944

Elle suscite des témoignages de sympathie comme l’attestent les rapports des Renseignements généraux. La presse résistante, dès mars 1944, dénonce cette campagne de presse et fait état des réactions hostiles de la population, rendant hommage aux combattants de l’affiche rouge. Enrico Pontremoli, peintre et résistant, imprime des macarons à l’iffigie d’Hitler, à apposer sur l’affiche à la place des portraits de résistants, et sur lesquelles on peut lire Adolf Hitler 11 millions de morts, 25 millions de blessés. Enfin, le Parti communiste dans l’Humanité clandestine du 3 mars 1944, utilise pour s’auto-qualifier le terme de parti des fusillés. Cette campagne de propagande qui visait à donner une vision réductrice et déformée de l’action des FTP-MOI, a inconstablement un rôle important dans la construction mémorielle postérieur.

Ainsi les 23 FTP-MOI exécutés deviennent dans la mémoire collective les membres du groupe Manouchian. Or Missak Manouchian est le chef militaire de l’ensemble des FTP-MOI de la région parisienne et les résistants fusillés appartiennent à des détachements distincts des FTP-MOI. Sur les vingt-deux fusillés, la moitié sont identifiés comme juifs. Neuf appartiennent à l’équipe dite des dérailleurs. Quatre sont issus du deuxième détachement, dite détachement juif. Trois font partie de l’équipe spéciale; six appartiennent au 3e détachement majoritairement italien. Douze des vingt-deux fusillés ont moins de 24 ans au moment de leur exécution et l’un d’entre eux, Roger Rouxel, n’a pas encore atteint 18 ans.

PHOTO 3.jpg
Des membres du groupe Manouchian dans la cour de la prison de Fresnes

Missak Manouchian et Arpen Tavitian, les seuls militants arménienne plus âgés (38 et 45 ans), ne sont donc pas représentatifs de la génération de jeunes militants juifs en majorité polonais qui ont choisi de s’engager dans les MOI après la déportation de leur proches. Quant à Joseph Epstein, pourtant chef des FTP de la région parisienne, il est jugé séparément et exécuté le 11 avril 1943 avec dix-huit autres résistants. Parmi les 23 membres des FTP-MOI arrêtés en région parisienne, 22 sont fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944. La seule femme du groupe Olga Bancic, est transférée en Allemagne et décapitée à Stuttgart, le 10 mai 1944. Après leur exécution, les membres du groupe Manouchian sont inhumés dans le carré des fusillés au cimetière parisien d’Ivry. À la Libération, une enquête est menée, visant particulièrement les Brigades spéciales : 150 policiers sont poursuivis, 64 inspecteurs condamnés dont 22 à la peine de mort. 10 sont exécutés dont Gaston Barrachin, responsable de l’arrestation de Missak Manouchian et Joseph Epstein.

PHOTO 4.jpg
Commémoration du premier anniversaire de l’exécution du groupe Manouchian au cimetière d’Ivry-sur-Seine, 25 février 1945

Hommage au groupe Manouchian

Depuis 1945, le souvenir du groupe Manouchian se perpétue chaque année à l’occasion de commémorations organisées par des associations d’anciens résistants au cimetière d’Irvy-sur-Seine. Néanmoins dans le contexte de la guerre froide, la résistance de ses étrangers communistes est peu mise en avant. Les poètes se chargent alors de faire passer l’Affiche à la postérité. Ainsi en 1950, dans son poème Légion, Paul Éluard rend hommage aux FTP-MOI. Ces étrangers d’ici, qui choisirent le feu, leurs portraits, sur les murs, sont vivant pour toujour. Un soleil de mémoire éclaire leur beauté.

En 1955, à l’occasion de l’inauguration d’une rue du Groupe-Manouchian dans le 20e arrondissement de Paris, un hommage national leur est également rendu et Louis Aragon compose un poème. Des travaux universitaires ont ainsi montré l’importance de l’engagement des résistants étrangers ou d’origine étrangère au sein des maquis et de la France libre pendant l’occupation et dans les combats de la Libération.



01/02/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres