LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

LES FORCES FRANÇAISES À BERLIN DE 1945 À 1994

Capitale en ruines d’un IIIe Reich qui devait durer mille ans, Berlin acquiert vite après 1945 un nouveau statut imposé par la guerre froide. Le partage de la ville entre les ex-Alliés en fait le baromètre de la confrontation Est-Ouest dont certains soubresauts ont des répercussions directes sur l’agglomération. Dans le secteur français, les militaires assistent à cette évolution qui conduit à redéfinir leur mission initiale d’occupation.

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Réunion à Berlin des représentants des pays alliés le 5 juin 1945.

L’arrivée des forces françaises à Berlin à l’été 1945 est consécutive aux accords internationaux conclus entre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Les accords de Londres en novembre 1944, puis la conférence de Yalta en février 1945 prévoient l’occupation de la ville par les Russes, les Américains et les Anglais, la participation de la France n’est acquise qu’après la conférence de Postdam, en juillet 1945.

Aussi, lorsque les éléments précurseurs de la 1e division blindée arrivent avec les troupes anglo-américaines le 3 juillet 1945, ils doivent stationer en secteur britannique, faute de zone attribuée à la France. Les arrondissements de Reinickendorf et Wedding ne sont concédés aux Français que le 12 août 1945. Placés sous les ordres du général Beauchesne, les militaires se répartissent d’abord sur l’ensemble du secteur français. Une note datée du 1er septembre 1945 prévoit que la garnison ne dépasse pas 3000 hommes. Parmi ceux-ci. La gendarmerie, présente dès l’été 1945, compte près de 400 hommes rasemblés au camp Foch où un détachement est créé le 7 novembre 1945. L’armée de terre constitue le plus gros contingent à base d’infanterie, de blindés et d’élément du génie. Le 46e régiment d’infanterie, (RI) implanté en novembre 1947, et le 11e régiment de chasseurs (RCh), arrivé en août 1949, forment l’ossature du dispositif conservé jusqu’au départ de Français.

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Le quartier Napoléon, février 1955

Au début des années 1950, la majorité des troupes et des services français  sont concentrés dans l’ancienne caserne Hermann Goering, rebaptisée quartier Napoléon, en souvenir de l’entrée triomphale de l’empereur dans la ville en 1806. La mission initiale confiée aux forces françaises à Berlin est celle d’une troupe d’occupation dans un pays vaincu. Cette tâche revêt une signification particulière pour bon nombre de militaires français qui ont eux-mêmes connu l’occupation, la clandestinité, les combats ou la captivité, les premiers temps sont consacrés à la gestion des mouvements de la population (prisonniers, réfugiés, déportés) à la recherche de dépôts d’armes clendestins, à la traque de criminels de guerre et à la dénazification de la société allemande.

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Construction du mur dans la Zimmerstrasse à Kreuzberg, novembre 1961

Certaines activités initiées à l’époque vont se perpétuer dans le temps. Ainsi la garde des hauts dignitaires nazis condamnés au procès de Nuremberg se poursuit jusqu’au décès de Rudolf Hess en 1987, à la prison de Spandau. La relève des troupes détachées par chaque secteur pour quatre mois donne lieu à un véritable cérémonial. Par ailleur, les forces stationnées à Berlin concerve leur statut de troupe d’occupation, contrairement au reste de l’Allemagne. À ce titre, leur entretient est à la charge de la ville qui reçoit annuellement le montant des dépenses. De façon analogue, l’administration militaire mise en place en 1945 n’est jamais remise en cause. Elle est même confirmée par l’accord quadripartite du 3 septembre 1971. Jusqu’au 3 octobre 1990, le général commandant les unités françaises porte le titre de gouverneur militaire français de Berlin.

Chargé de la gestion de son secteur, il est en outre le représentant français auprès de la kommandatur interalliée, autorité chargée de diriger comjointement l’administration de la ville. Néanmoins, l’évolution du contexte conduit les forces françaises à aller bien au-delà d’une simple occupation.

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Visite du président américain J. F. Kennedy à Berlin le 26 juin 1963

Une force protectrice issue de la guerre froide

Situé au cœur de la zone d’occupation soviétique, Berlin devient un poste avancé du monde libre dans un contexte lourd de menaces. La première épreuve de force, imposée par le blocus soviétique de 1948-1949, change radicalement le rôle des troupes occidentales, dorénavant perçues comme des forces protectrices par les Berlinois de l’Ouest. Durant le pont aérien, l’aviation française joue un rôle symbolique en raison de son engagement en Indochine. Toutefois le développement  de l’aéroport de Tegel s’accompagne d’une montée en puissance de l’armée de l’air qui y crée la base aérienne 165 quelques années plus tard.

À l’issue du blocus, la création de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et de la Républic démocratique allemande (RDA) modifie le rapport de force. Alors que les Soviétiques favorisent l’émergence d’un contingeant est-allemand, les Berlinois de l’Ouest, isolés de la RFA, ne peuvent compter que sur les forces occidentales dont les effectifs s’établissent autour de 12 500 hommes (5 900 pour les Américains, 3900 pour les Britanniques et 2 900 pour les Français.

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Patrouille dans le secteur français de Berlin le 13 février 1962

Dès 1951-1952, le premier plan tripartite de défense, s’établi pour faire face à d’éventuelles attaques de la part de civils ou d’éléments militaires hostiles, s’accompagne de manœuvres franco-anglo-américaines. Comme l’isolement de Berlin-Ouest dans la RDA et l’écrasant avantage numérique des troupes adverses hypothèquent les capacités de résistance, les trois alliés prévilégient les actions retardatrices au profit d’un front situé plus à l’Ouest. Dans ce cadre, le 46e RI se spécialise dans le combat en zone urbaine et le 11e RCh dans la lutte antichar. Devenu la vitrine idéologique et économique des deux systèmes qui se partagent la ville, chaque secteur vit au rytme des tensions successives entre l’Est et l’Ouest. Certaines d’entre elles focalisent l’attention sur Berlin comme les premières grèves ouvrières à Berlin-Est en 1953 et surtout la construction du mur en 1961. Cette crise majeure mobilise les états-majors occidentaux durant plusieurs mois avant le retour à une certaine normalité. Les habitants et les militaires français apprennent à vivre avec le mur de la honte qui devient un élément emblématique de Berlin durant 28 ans.

À la fin des années 1960, le dispositif militaire français connaît quelques aménagements. En 1968, un groupement des forces est créé pour assurer le soutien administratif et technique à l’ensemble du groupement terre des forces françaises stationnées à Berlin. La même année, un centre d’instruction de gendarmerie est créé. Il forme des sous-officiers de l’armée pendant vingt-trois ans. En 1969, une section du génie est mise sur place pour apporter un appui indispensable aux deux régiments de la garnison berlinoise. Le 1er août 1985, elle devient la 110e compagnie du génie, jusqu’à la fin des années 1980, les militaires français stationnés à Berlin sont soumis à un entraînement soutenu en prévision du pire.

Outre les patrouilles le long du mur, manœuvres et exercices rytment les semaines au cours desquelles les marches de jour et de nuit alternent avec les tests de résistance au froid. L’éventualité d’une attaque n’a jamais été totalement écartée. Comme l’explique lui-même le dernier commandant du secteur britannique, Sir Robert Corbett : il faut retenir que ces plans étaient bien réels. Nous savions que des plans d’une attaque de Berlin et des exercices d’entraînement continuèrent jusqu’à l’année précédant la chute du mur en novembre 1989.

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Journée des forces alliées, salut des gardes aux drapeaux le 25 avril 1964

Une force invitée issue de la réunification allemande

En ouvrant la voie à la réunification allemande, la chute innatendue du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, boulverse les perspectives d’avenir de la force française, le 12 septembre 1990, le traité de Moscou, aussi appelé traité 2+4, entre les représentants des deux Allemagne et des quatre anciens Alliés de la Seconde Guerre mondiale, scelle le sort des troupes étrangères présentes à Berlin depuis 1945. En effet, le préambule et l’article 7 précisent que les quatre puissances occupantes abandonnent leurs droits et responsabiltés sur l’Allemagne.

La fin de l’occupation alliée entraîne la disparition de la Kommandatura interalliée. Le 2 octobre 1990, une séance de clôture est organisée entre les trois commandants des secteurs occidentaux : le général français François Cann, le major-général anglais Robert Corbett et le major général américain Raymond Haddock. Pour la première fois dans l’histoire de cette institution, la presse est autorisée à participer à la séance. Le point central de l’ordre du jour est la signature d’une communication adressée au maire-gouverneur de Berlin et signée par les trois gouverneurs militaires. Aujourd’hui à minuit, peut-on y lire, s’achève la mission des généraux commandants les secteurs occidentaux de Berlin. Nous allons bientôt quitter Berlin et éprouver la satisfaction de voir nos efforts communs couronnés de succès.

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Gendarme observant le côté Est du mur en mars 1970

Le lendemain, la réunification allemande est officiellement effective. Berlin redevient la capitale allemande (tout en étant également un Land). Avec la suppression de leur secteur, les militaires français se retrouvent sur le sol d’un État souverain. Les autorités allemandes demande néanmoins le maintient du dispositif français jusqu’au départ des troupes russes. Il prend l’appellation des forces françaises stationnée à Berlin (FFBS). Entre 1992 et 1994, les mesures de retrait des forces armées étrangères sont préparées, puis appliquées. L’année 1994 est marquée par une série de cérémonies au cours desquelles les berlinois viennent manifester leur attachement aux militaires qui s’apprêtent à les quitter. Le 26 mars 1994, les forces armées français quittent odfficiellement la ville de Berlin. Le 18 juin, elles participent  à la dernière parade interalliée. Le 8 septembre, le gouvernement fédéral fait ses adieux solonels aux unités militaires des puissances occidentales au terme de près de cinquante ans de présence. La cérémonie a lieu en présence des  plus hautes autorités allemandes et d’invités de marque. Le Président de la République, François Mitterrand, représentant la France.

Le point fort de la journée est la grande retraite aux flambeaux devant la porte de Brandebourg. Il s’agit de la plus haute cérémonie d’honneur prévue par le protocole allemand. Le 14 septembre 1994, les militaires français se retrouvent au quartier Napoléon pour une émouvante cérémonie nocturne de dissolution des services. Ainsi disparaît le 11e régiment de chasseurs, de même que le 46e régiment d’infanterie, fermé pour cause de victoire. L’étandard de l’un et le drapeau de l’autre sont conservés au Service historique de la défense, à la salle des emblèmes du château de Vincennes. Le 28 septembre 1994, une ultime cérémonie militaire se déroule au quartier Napoléon à l’occasion de la remise symbolique des clés. Le colonel Rousselet, dernier chef d’état-major des FFSB et ancien chef de corps de 1990 à 1992, préside la prise d’armes. Le colonel Hoppe, son homologue, devient le commandant militaire de la caserne, baptisée Kaserne Julius Leber.

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Berlinois sur le mur, la nuit du 9 novembre 1989

Le soir, le dernier train militaire français quitte les quais de la gare de Tegel emmenant vers Strasbourg les soldats français. Entre 1945 et 1994, près de 100 000 militaires français, dont un grand nombre d’appelés, sont venues à Berlin pour quelques mois ou quelques années. Dans cette ville au destin exceptionnel, le rôle de ces hommes et de ces femmes a évolué de manière singulière au cours de ses cinquante années. Comme l’a expliqué le général François Cann, chef du gouvernement militaire à Berlin de 1987 à 1990 : C’est je pense, un cas unique dans l’histoire de l’humanité où des vainqueurs arrivent en force d’occupation en 1945, deviennent force protectrice jusqu’en 1990, puis force invitée, car on leur demande de rester sur place jusqu’au départ des derniers Russes.

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Signature du traité 2+4 à Moscou le 12septembre 1990

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Helmut Kohl et François Mitterrand lors de la cérémonie de départ des troupes alliées de Berlin, château de Charlottenburg le 8 septembre 1994

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Le musée des Alliés



31/12/2013
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