LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

LES ÉDITEURS ET LES IMPRIMEURS DANS LA RÉSISTANCE

Pour lutter contre la propagande allemande, la Résistance se lance dans une guerre d’information; journaux, tracts, brochures, affichettes, papillons. Très vite conscients de l’impact que ces publications peuvent avoir sur la population, l’occupant et la police française pourchassent l’écrit clandestin. Les saisies, la fermeture des centres d’impression, les arrestations sont répertoriées dans les rapports de police. La répression est féroce contre ceux, imprimeurs journalistes et responsables d’édition, qui portent ces paroles de liberté.

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Machine d’imprimerie de Défense de la France, camouflée sous une caisse d’expédition

La propagande a été l’une des armes les plus redoutables du nazisme. En France, dans la zone occupée, les services allemands organisent efficacement leur propagande, supervisée depuis Berlin par deux départements bien distincts : d’une part, la Propaganda Abteilung de Goebbels, qui a installé ses bureaux à Paris à l’hôtel Majestic, d’autre part, les services du docteur Dietrich, qui agit comme chef de la presse du Reich et a sous son contrôle les agences de presses. En zone Sud, le gouvernement de Vichy met progressivement en place des services de censure aux niveaux régional, départemental et local. Après le retour de Pierre Laval au gouvernement le 18 avril 1942, Vichy mène une politique active pour développer un mouvement corporatif de la presse.

Les censures françaises et allemandes s’exercent dans tous les domaines: plusieurs listes d’ouvrages interdits aboutissent à la suppression de plus de mille titres et au retrait de millions d’exemplaires. La première, la liste Bernhard, préparée à Berlin et Leipzig date de l’été 1940: elle interdit 143 titres à caractère politique, dite antiallemands, antinazis, mais aussi et surtout écrit par des Juifs. 700 000 volumes sont saisis avant la fin du mois d’août.

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Michel Bernstein fabriquant des faux-papiers

En octobre 1940, la liste Otto (du nom de l’ambassadeur Otto Abetz) énumère les livres français à proscrire; elle recense les noms de 140 éditeurs et, parmi les auteurs, entre autres, Duhamel, Aragon, Kessel, Maurois, Claudel, Malraux, Jacques Bainville, Henry Bordeaux. D’autres listes seront publiées par la suite. Les éditeurs essentiellement pour des raisons économiques désirent reprendre le cour normal de leurs activités et se déclarent prêts à transiger avec l’occupant pour débloquer la situation. Bernard Grasset prend l’initiative de négocier les conditions d’arrangement. Le résultat est la convention d’auto-censure, signée le 28 septembre 1940 par le président des syndicats des éditeurs, René Philippon, selon laquelle ces derniers sont libres de publier ce qu’ils veulent, à condition de ne rien faire paraître qui puisse nuire aux intérêts des allemands. Cette convention fonctionne jusqu’en 1942 : elle permet aux éditeurs de poursuivre leur activité à peu près normalement et aux autorités allemandes de rejeter la responsabilité de la censure sur eux, en déclarant qu’ils assainissent eux-mêmes la litérature. La liberté relative des éditeurs se restreint à partir d’avril 1942 : la Commission de contrôle de papier a en effet un très grand pouvoir, étant donné qu’elle a la double mission d’attribuer le papier et d’exercer la censure.

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L’Humanité du 20 juillet 1941

Conscients de l’impact de l’information sur la population, les premiers résistants reprennent à leur compte l’arme de l’ennemi, la propagande. Dès le 17 juin 1940, Edmond Michelet dépose dans les boîtes à lettres de Brive, un tract reproduisant un texte de Charles Péguy (L’Argent) : Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui ce rend. Jean Texcier écrit en juillet 1940 les Conseils à l’occupé. Première brochure clandestine ironique, imprimée en août chez Keller, rue Rochechouart, à Paris, elle incite au refut de toute compromission avec l’occupant. La presse clandestine fait ses débuts, en général, sous forme de bulletins Ronéo. Le 1er décembre 1940, paraît Libération Nord, feuille dactylographiée en sept exemplaires.

Pour l’imprimer, les difficultés sont inombrables. La pénurie de matières premières en est une. Loin d’en être uniquement une contingence matérielle, elle est organisée pour constituer un moyen de pression efficace des autorités allemandes et des agents chargés de leur répartition dont le choix privilégient qui bon leur semble. Très vite, pour enrayer la sorie de tracts et de publications anti-vichistes et antinazis, des mesures gouvernementales interdisent une Ronéo, de l’encre et du papier sans justification professionnelle; les fabricants, marchands et grossistes ne peuvent pas vendre sans une autorisation délivrée par le commissaire de police les appareils duplicateurs et les papiers, susceptibles d’être employés à la confection du tract ronéotypés (décret du 26 novembre 1940).

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Une femme sort d’une valise des numéros d’un journal clandestin

Strictement contingenté, le papier est souvent acheté au marché noir et représente un sacrifice financier important. Parfois, les imprimeurs parviennent à prélever sur leurs stocks la quantité nécessaire réservée aux feuilles clandestines. Les premiers écrits ont un aspect artisanal, des chaînes se constituent spontasnément pour reproduire, souvent à la main, les Conseils à l’occupé ou les discours de la radio de Londres. Ces feuilles sont parfois ronéotypées, dactylograpiées, rarement imprimées. L’Humanité clandestine paraît dès août 1940, grâce à des centres ronéo, légers et mobiles. Une étape difficile est franchit en 1941 au moment de l’organisation de groupes qui trouve leur raison d’être autour de la publication d’un journal. C’est le cas de Libération Nord créé à l’origine par Christian Pineau et dont le 1er numéro dactylographié était sortie le 1er décembre 1940. Libération Sud est publié en juillet 1941 par Emmanuel D’astier et son équipe et imprimé à Clermont-Ferrand à 15 000 exemplaires. Le premier numéro de Défense de la France sort à Paris le 14 juillet 1941 à 5000 exemplaires et le premier numéro des Cahiers du Témoignage Chrétien du Père Chaillet en novembre 1941 d’une imprimerie lyonnaise.

En décembre  trois grands journaux de la Résistance font leur apparition : Socialisme et Liberté (qui deviendra Le Populaire Z.N.); Franc-tireur imprimé à Lyon et dont le fondateur est Jean-Pierre Lévy; Combat, issu de la fusion Liberté de François de Menthon et de Vérités d’Henri Frenay. L’éclosion de la presse clandestine se poursuit tout au long de l’année 1942. Le Populaire zone sud en mai avec Daniel Mayer, Lorraine en août 1942 et Résistance, le nouveau journal de Paris dû au docteur Marcel Renet. En août 1943, la presse résistante est devenue une force avec laquelle il faut compter. Elle atteint ses plus forts tirages en 1944, dépassant les deux millions d’exemplaires (le no 43 de Défense de la France du 15 janvier 1944 tire à 450 000 exemplaires) Plus de 1 200 titres sont alors recensés. À côté des feuilles nationales, existent des feuilles locales et professionnelles dont un grand nombre est dû aux communistes.

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Une de Combat, en août 1942, Le Franc-Tireur, avril 1942, Librération du 14 juillet 1942

Cette réussite est d’autant  exceptionnelle que, tout au long de ces quatre années, les responsables de cette presse se heurtent à d’innombrables difficultés. Que le journal soit imprimé ou non, sa réalisation s’avère un véritable tour de force. Un grand nombre de feuilles locales ou visant un public déterminé sont multipliées, ronéotypées ou dactylographiés. Les publications sont en français mais il y en a aussi en allemand, alsacien, italien, yiddish ou espagnol. Sortir de l’isolement, diffuser sur une vaste échelle et régulièrement, ne serait-ce qu’une feuille recto-verso, c’est déjà laisser croire qu’une force politique, qu’une organisation structurée et influente s’oppose à la politique de collaboration. Ainsi, apparaît en filigrane l’idée de fabriquer un journal, d’élargir l’impact de la Résistance. En 1943 et 1944, on ne compte plus les emprunts forcés vols de machines à écrire, notamment dans les administrations, ou d’appareils à dupliquer. Quant aux journaux imprimés, ils exigent une série d’opérations spécialisées (composition, tirage) d’autant plus risquées que les imprimeries font l’objet d’une étroite surveillance policière. Certains ouvriers typographes composent chez eux la nuit ou en cachette sur leur lieu de travail; il faut ensuite porter les plombs à l’imprimerie, où s’effectue le tirage. La liste des petits artisans imprimeurs qui viennent en aide aux mouvements de résistance est impressionnante.

Souvent le même homme rend service à plusieurs journaux à la fois. La police cherche à localiser les lieux et les dépôts d’impression de la presse clandestine. Une ordonnance allemande du 18 décembre 1942 précise que : Quiconque aura confectionné ou distribué des tracts sans y être autorisé sera puni de peine de travaux forcés et les cas graves de peine de mort. La Milice est un auxiliaire précieux des Allemands et le nombre d’arrestations et de déportations est en constante augmentation. Pourtant, malgré la menace, quand une imprimerie est démentelée, un autre artisan prend la relève.

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Imprimerie de Défense de la France, rue de l’Université à Paris

De la presse clandestine à l’édition littéraire de la Résistance

Grâce à des imprimeurs devenus résistants, des journaux comme  Franc-tireur, Témoignage Chrétien ou Libération ont recours à des professionnels; la presse communiste, celle du Front national et la presse syndicale s’appuient, elle, essentiellement sur des ouvriers typographes militants ou syndicalistes. D’autres tout comme Défense de la France ou Combat créent leur propre imprimerie. L’imprimeur Jacques Grou-Redenez apprend aux étudiants du mouvement Défense de la France à composer les articles avec les caractères typographiques et Alain Radiguer leur enseigne les techniques de fabrication de reproduction de clichés. Pour Combat André Bollier crée une imprimerie à Lyon, en Achetant une machine à Grenoble : comme elle est intransportable en l’état André Bollier la démonte et oganise le transport de pièces par l’intermédiaire de différentes entreprises de camionnage. Pour des raisons de sécurité, les éléments sont réceptionnés dans la banlieue lyonnaise en divers lieux, puis quelques semaines plus tard, centralisés rue Viala, à Lyon. Sans plan ni croquis André Bollier reconstruit la machine de mémoire.

En dépit des arrestations, les journaux dont le format est réduit et le nombre de page limité, paraissent avec une quasi-régularité. Comme les tracts, ils ont un rôle essentiel de mobilisation et de recrutement : il s’agit de créer un lien avec les lecteurs, tout en menant une véritable bataille contre l’occupant et la censure.

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Tract réalisé par Lise London appelant les mères françaises à se mobiliser contre l’occupant mai 1942

Fondées en 1942 par le romancier Pierre de Lescure et le graveur Jean Bruller dit (Vercors), les éditions de Minuit sont la maison d’édition littéraire de la Résistance. Le premier titre, publié le 20 février est le Silence de la Mer de Vercors. Les millieux littéraires sont surpris par la qualité de la publication. Les ennuis de Pierre le Lescure avec la Gestapo au printemps 1942 le tiennent éloigné de Paris alors qu’il est essentiel d’alimenter en textes les Éditions de Minuit afin qu’elles ne soient pas contraintes d’intérrompre leur activité. En son absence, Jean Paulhan, l’ex-directeur de la Nouvelle Revue Française, contacté par Vercors, les prend sous sa protection et leur fait parvenir des textes d’écrivains dont il connaît les convictions patriotes. C’est alors que paraissent Le Cahier noir de François Mauriac, sous le pseudonyme de Forez, Le Musée Grévin de Louis Aragon, sous celui de François la Colère, l’Honneur des Poètes, avec en particulier des poèmes de Paul Éluard, sous son propre nom, de Pierre Seghers.

Pendant cette période, les poètes (Louis Aragon, Paul Éluard, Robert Desnos) trouvent un public. Les lecteurs devinrent le sens caché des symboles et des images dont ils usent pour dire que la situation ne leur permet pas d’énoncer en termes clairs. La poésie s’avère une arme de combat. L’occupant discerne difficilement sous la fable le sens réel du propos, mais les journalistes parisiens qui travaillent à sa solde dénoncent cette littérature dans leurs colonnes. Le 31 octobre 1943, prononçant un discours à Alger, le général De Gaulle rend hommage aux écrivains français de la Résistance et à ses poètes : un jour l’historien constatera que la Résistance, c’est-à-dire l’espérence nationale s’est accrochée sur la pente à deux pôles qui ne cédèrent point. L’une était le tronçon de l’épée et l’autre la pensée française, la dignité de l’esprit fut sauvegardée malgré toutes les épreuves.

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Revue Les Lettres françaises, mars 1944

À la Libération, la poésie des années de la censure se révèle peu à peu au grand public. Le mouvement poétique se poursuit et les maisons d’éditions se multiplient. Les journaux et les magazines publient des poèmes, envoyés notamment par les lecteurs, qui expriment ainsi leurs sentiments et opinions.

Pendant toute la période, la presse clandestine, originalité de la Résistance française, à joué un rôle essentiel auprès de l’opinion publique. Elle a contribué à l’igitimer le discours résistant et montré le pouvoir de pénétration de la Résistance. L’un des premiers actes du gouvernement de la France libre est le rétablissement de la liberté de presse et de l’information. Le principe en est proclamé par le Comité français de Libération national dans l’ordonnance du 6 mai 1944 sur le régime de la presse en temps de guerre.

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Impression d’un appel des FFI à l’insurrection Paris, août 1944

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Quelques titres des Éditions de Minuit

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Jean Bruller dit (Vercors)



20/12/2013
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