L’INTERNEMENT DES TSIGANES EN FRANCE DE 1939 À 1945
Le sort réservé aux Tsiganes présents sur le territoire français pendant la Seconde Guerre mondiale resta longtemps méconnu. Les travaux les plus récents des historiens montrent que la situation de cette population varie selon les zones de la France occupée.
Familles Tsiganes au camp de Rivesaltes 1941-1942
L’internement administratif est une procédure aujourd’hui bien connue : il fut un instrument de répression ou de persécution utilisé par les gouvernants successifs, de la IIIe République finissante au début de la IVe République, tant sous des régimes démocatiques que sous l’États français autoritaire de Vichy et dans la France occupée par les Allemands. Massif, le phénomène toucha quelques 600 000 personnes entre 1939 et 1946. On sait que les politiques, communistes en tête, comptèrent parmi les victimes de cette mesure qui visait des personnes non pour ce qu’elles avaient commis mais pour le danger potentiel qu’elles représentaient pour l’État où la société. On sait que les Juifs furent massivement internés et qu’à partir de 1942, les camps d’internement furent insérés dans le processus de la Solution finale. On évoque depuis moins longtemps les ressortissants allemands et autrichiens internés à la déclaration de la guerre ou les républicains espagnols qui en février 1939, franchirent la forntière par centaine de milliers.
On sait moins que les Tsiganes furent aussi les victimes de cette mesure administrative. Or, leur internement pose des questions singulières. Pourquoi furent-ils visés? Doit-on chercher les causes de cet internement dans le court terme ou une stigmentation de long terme? La politique fut-elle identique dans la France occupée et dans celle de Vichy. Furent-ils touchés par la déportation comme le furent les Juifs.
Familles Tsiganes au camp de Rivesaltes 1941-1942
La stigmentation des Tsiganes n’est pas nouvelle
Pour comprendre leur sort, il faut considérer un double héritage, côté français et côté allemand, Les décennies précédant la guerre avaient été marquées, en France, par une forme de radicalisation. À ce titre, l’année 1912 constitue une étape majeure. Une loi impose aux nomades qui entrent en France de justifier de leur identité. À chaque famille est attribué un carnet anthtopométrique à présenter quand elle arrive dans une commune. Dans une période où la carte d’identité n’existait pas encore, cette loi s’inscrit dans un double contexte : la montée des périls et la perspective de la guerre activaient le stéréotype du Tsigane espion dont il fallait contrôler les déplacements tandis, que la une des gazettes au début du siècle entretenait la représentation du Tsigane voleur. La question se reposa dans les mêmes termes quand se déclencha la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement limita dès septembre 1939 la circulation des nomades; le décret du 6 avril 1940 l’interdit sur l’ensemble du territoire national pour la durée de la guerre. Ils étaient assignés à résidence. On peut s’étonner que le gouvernement n’ait pas eu d’emblée recours à l’internement administratif. Il y eu bien débats et l’argumentaire du ministre de l’Intérieur est symptomatique : J’estime que la réunion des nomades en sorte de camp de concentration présentrait en général ce double inconvénient très sérieux de favoriser le regroupement des bandes que mes services ont eu parfois le plus grand mal à dissocier, et de soulever de délicats problèmes de logement, de ravitaillement, de garde, qui ne pourraient être résolus sans entraîner des dépenses importantes et nécessiter le renforcement des services de surveillance.
Comme du côté français, la politique allemande envers les nomades s’inscrivait dans la longue durée. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la lutte contre le fléau tsigane était une priorité de l’administration allemande. En 1926, sous la république de Weimar, la commission de la police criminelle mettait au point une convention des Länder Allemands sur la lutte contre le fléau tsigane. Après l’arrivé au pouvoir d’Hitler, la répression visant les Tsiganes fut initiée par les autorités locales, puis relayée et amplifiée durant les années de radicalisation et de centralisation de la répression en 1938 et 1939.
Camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loiret) photographié du haut d’un mirador, 1944
Un internement massif imposé par les Allemands
On ne s’étonnera donc pas que l’occupant ait ordonné dès le 4 octobre 1940 l’internement systématique des nomades en zone nord. Si l’on se réfère à la population nomade présente alors en France très difficile à estimer, elle fut avec les Juifs proportionellement la plus touchée par cette mesure. L’internement des nomades décidé par les Alemands présente un double caractéristique : il s’inscrit dans une logique d’exclusion dont les tenants idéologiques sont anciens et fut délégué aux autorités françaises qui à bien des endroits firent du zèle. Cela vint donc très vite. Le commandement militaire allemand (Militärbefehslhaber in Frankreich MBF) commença par ordonner l’expultion de tout les indésirables de la côte atlantique, Juifs nomades et ressortissants britanniques furent ainsi exclus d’une zone considérée comme militairement stratégique, Baucoups se trouvèrent bientôt internés. Ensuite l’exercice de professions ambulantes furent interdit dans 21 départements du grand ouest. Dans le même temps, le MBF ordonnait l’internement de tous les nomades présent en zone occupée, en exigeant que les camps soient surveillés par des policiers français. Le MBF tenait en effet à impliquer les autorités françaises dans ce genre d’action.
Comment réagirent les autorités françaises? Le choix de la collaboration était aussi le choix sujétion. Les préfets qui relevaient officiellement du ministère de l’Intérieur à Vichy et, dans les faits, d’une double tutelle, française et allemande, furent donc à la manœuvre, avec efficacité voire avec zèle. Certains en profitèrent pour mettre à l’écart toutes les populations jugées marginales. C’est ainsi que des centaines de vagabonds se retrouvèrent internés. Dans les camps, les conditions de vie des nomades furent souvent dramatiques. Il en allait ainsi de l’insuffisance de nourriture et du manque d’hygiène.
Le ravitaillement était d’autant plus difficile qu’il n’y existait pratiquement aucune œuvre d’assistance pour pallier les insuffisances de l’administration. Au contrôle policier s’ajoutait le contrôle social : les archives abondent de témoignages montrant combien la solidarité de la population environnante était limitée. C’est sans doute la catégorie pour laquelle la compassion fut la plus faible. Ceux qui s’évadaient étaient souvent ramenés au camp par la population locale. L’internement fut donc dur et il fut massif. On ne dispose pas de statistiques qui permettent de rapporter le nombre d’internés à la population globale de référence. On sait cependant qu'ils furent environ 2000 internés à l’automne 1940. Sur l’ensemble de l’Occupation, quelque 3000 hommes, femmes et enfants connurent les camps français d’internement par décision allemande, quelques semaines pour certains, plusieurs années pour la plupart.
Vichy reste en retrait
Vichy mena une politique toute différente de ce qu’on pouvait en attendre. La logique d’exclusion qui prévalait en zone non occupée au nom de la lutte contre ceux que Pétain appelait les forces de l’anti-France visait avant tout les Juifs, communistes et franc-maçons; rien ne justifiait, aux yeux des nouveaux gouvernants français, d’y assocoier les Tsiganes. En fait Vichy s’inscrivit dans la continuité de la IIIe République finissante. C’est toujours le décret du 6 avril 1940 qui fut invoqué pour justifier la sédantarisation des nomades par l’assignation à résidence. On n’alla guère au-delà, sauf quand la pression extérieure imposa un choix qui, toujours, fut celui de la mise à l’écart. Les Tsiganes ne furent donc que quelques centaines à connaître les barbelés des camps si nombreux en zone Sud. Leur provenance est symptomatique : Pour l’essentiel il s’agissait d’expulsés d’Alsace-Moselle, donc des territoires annexés de fait au Reich, envoyés vers la France de Vichy pour la plupart au second semestre 1940, bien qu’on trouve encore trace d’expulsion jusqu’en 1943.
Ils se retrouvèrent pour la majorité dans le camp de Riversaltes (Pyrénées-Orientale) où Juifs et Espagnols étaient de loin les plus nombreux, En 1942, on les transféra dans les Bouches-du-Rhône, à Saliers, seul camp spécifiquement tsigane qui exista en zone Sud. Ce transfert fut décidé à l’initiative d’un organisme Officiel, le Service social des Étrangers, et plus spécialement de son chef Gilbert Lesage, qui menait en parallèle une action clendestine, évidemment sans l’accord de Vichy. Dans l’esprit de celui qui, bien après la guerre, fut reconnue Juste parmi les Nations par Yad Vashem, il s’agissait de protéger ces Tsiganes d’une éventuelle déportation.
Ainsi l’internement des nomades en zone Sud resta marginal, lié à des circonstances exceptionnelles tandis qu’en zone Nord, il fut massif et la conséquence d’une décision allemande, même si les préfets et les autorités locales, comme la population, se satisfirent d’être ainsi débarrassés des populations jugées indésirables.
Carnet anthropométrique d’identité pour les nomades et fiche de signalement
Les Tsigane en France un sort à part
Sans doute parce que le sort des Tsiganes fut longtemps négligé par les historiens et ignoré par la mémoire collective, on ne se posa longtemps la question ni de leur sort dans la France des années noires ni de leur destinée. La figure de la victime juive, structurant la mémoire collective depuis la fin des années 1970, on raisonna par assimilation. L’ouvrage que Donald Kenrick et Grattan Puxon consacrèrent en 1972 au sort des Tsiganes d’Europe fit longtemps référence. Ils y affirmaient que 30 000 Tsiganes avaient été internés en France, et une grande partie déportée en Allemagne où près de 16 000 à 18 000 étaient morts. Dix ans plus tard, Martin Gilbert, historien reconnu reprenait ces chiffres dans l’Atlas de la Shoah qu’il publiait alors. Il n’évoqait plus à cette occasion la source que citaient les premiers, à savoir la publication d’un œuvre d’assistance qui ne s’appuyait, quant à elle, sur aucun fondement scientifique.
Puisqu’à ce jour les historiens français ayant dépouillé toutes les archives diaponibles annoncent entre 3000 et 5000 internés, on mesure d’amblée l’empleur de l’erreur. On a aujourd’hui fait le point sur les transferts et déportations en Allemagne. Une centaine d’internés partirent travailler en Allemagne, soit comme volontaires, soit contraints. Il est en outre établi que le 15 janvier 1944, un convoi de 351 Tsiganes partit du camp de Malines, le Drancy de Belgique. Douze seulement revinrent de la déportation. À l’automne 1943, une rafle était organisée dans le ressort du commandement militaire de Bruxelles, soit en Belgique et, pour la France, dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Sur les 351 déportés, on comptait 145 Français, 121 Belges. Ces chiffres sont confirmés par le registre de Birkenau publié conjointement par le musée d’Auschwitz et le centre de Heidelberg.
Stationnement de nomades à La Lande-Chasles (Maine-et-Loiret)
Le grand historien allemand du génocide des Tsigane d’Europe. Michael Zimmermann, a retrouvé l’ordre d’Himmler qui présida à cette rafle. Pourquoi cette action fut-elle isolée en Belgique et plus encore, pourquoi le commandement militaire de Paris ou les services de police et de la SS d’Oberg n’ont-ils pas pris de mesure comparable en France occupée? La question reste ouverte. Toute origines confondues on sait que 23 000 tsiganes furent déportés à Birkenau, ils provenaient pour l’essentiel d’Allemagne et d’Autriche (63%) et de Bohême-Moravie (22%). Plus de la moitié moururent, soit 12 000. Dans la dernière phase, entre le 15 avril et le 2 août 1944, quelques 4300 déportés jugés aptes au travail furent transférés à Ravensbrück, Buchenwald ou Flossenbürg.
Le 2 août, les nazis liquidèrent le camp BIIe de Birkenau : 3000 hommes, femmes et enfants furent gazés. Si l’on tient compte des milliers de Tsiganes gazés à Chelmno, de ceux qui furent massacrés par les Einsatzgruppen de l’armée régulière allemande (que l’enquête systématique du père Patrick Desbois est en traint de mettre en évidence), mais aussi des victimes de tel ou tel gouvernement fantoche ou allié, on peut situer le nombre de Tsiganes exterminés en Europe entre 50 000 et 80 000.
Par bien des aspects, la persécution nazie contre les Tsiganes s’apparentait à la persécution des Juifs : le même racisme biologique nourrissait le rejet et l’exclusion; les mêmes lois sur la protection du sang allemand stigmatisaient les uns et les autres. Pour autant, le processus ne fut pas du même ordre, sans doute pace que le Tsigane n’avait pas la fonction structurante du Juif dans l’interprétation du monde donnée par les nazis. Le Juif ne représentait pas seulement un danger pour la pureté de la race, c’était un danger politique et idéologique majeur car dans la Weltanschaung des nazis, il dominait le monde. C’est à l’aune de cette percpection de l’autre et du monde qu’il faut comprendre le sort des Tsiganes de France. Là sur l’initiative de l’occupant allemand, ils furent massivement internés. On avança des impératifs militaires, mais les stéréotypes racistes sont évidents. Les conditions dans ces camps furent particulièrement difficiles, d’autant que les nomades ne pouvaient compter sur la solidarité de la population.
Les stéréotypes eurent d’ailleurs la vie longue puisque, après la Libération, une bonne partie des nomades resta encore internée un ou deux ans. C’est dans la continuité de ces mécanismes de rejet et d’exclusion qu’il faut trouver la leçon principale de ce drame. C’est cette longue marginalisation des Tsiganes qui explique l’obltération de leur sort dans la mémoire collective.
École dans le camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loiret)
Familles Tsiganes au camp de Rivesaltes, 1941-1942
Albert et Catherine Scheid internés au camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loiret)
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