LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

LES SPORTIFS JUIFS À L’ÉPREUVE DU NAZISME

Contrairement aux préjugés antisémites, les Juifs ont massivement intégré le mouvement sportif dès la fin du XIXe siècle et se sont illustrés dans les grandes compétitions. Exclus dès les premiers mois par le régime nazi, ils ont pour une grande majorité d’entre eux disparu dans la Shoah. Des réalités qui sont au cœur de l’exposition présentée au Mémorial de la Shoah à Paris.

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Congrès sportif à Nuremberg, Allemagne, 1930

Dès la fin du XIXe siècle, la pratique sportive se démocratise et se diffuse en Europe à toutes les sphères des sociétés. L’engouement pour les nouvelles disciplines sportives (sports aquatiques) et l’attrait pour l’activité physique au sein des clubs mistes, non confessionels, favorisent le brassage culturel, le changement des mentalités, la diffusion des idées hygiénistes et les réflexions sur la culture du corps. Le processus d’intégration par le sport concerne tous les groupes sociaux et notamment les communautés juives dès le début du XXe siècle. En Hongrie, la participation des Juifs aux mouvements sportifs est particulièrement importante. Ces derniers sont fortement représentés dans plusieurs disciplines notamment dans le water-polo et ce jusque dans l’équipe nationale. Alors que ce sport s’impose comme sport national et cristallise les passions autant que le football, les joueurs sont élevés au rang de défenseur de l’identité hongroise et les victoires se chargent d’une sybolique patriotique, à l’instar du mouvement Sokol en Tchécoslovaquie.

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le sportif antifasciste.Une du journal du comité d'organisation du rassemblment international sportif contre le nazisme et le fascisme, France, 1934

Pour la communauté juive, influencée par l’appel de Max Nordau pour un judaïsme du muscle, le sport est perçu comme un moyen de se réapproprier la force juive, et d’accéder à la réussite sociale malgré un contexte hostile lui fermant souvent les portes de l’université. Béla Komjadi, entraîneur juif de l’équipe nationale, est une figure emblématique de cette réussite. Son rôle significatif dans le développement d’un style de jeu novateur, porté par une attention particulière des pouvoirs publics aux sports collectifs, a permis de propulser l’équipe hongroise jusqu’à la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932. Au cours de ces Jeux, se démarque György Brody, autre atlète juif, considéré comme l’un des plus grands gardiens de but de l’histoire du water-polo.

Toutefois dans ses mêmes années, le durcissement du régime de l’amiral Horty et la multiplication d’actes antisémites poussent certains sportifs juifs à émigrer vers des pays plus propices à leurs carrières. André Roder, défenseur central du Magyar TK de Budapest quitte la Hongrie en 1930 pour jouer au Racing à Paris, puis rejoint l’équipe de la Barrichonne de Châteauroux comme entraîneur-joueur en 1938. Sa carrière de footballeur prend fin avec la guerre. Engagé au 21e régiment de marche des volontaires étrangers (RMVE), il participe à la campagne de France.

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Parcours de la flamme olympique d'Olympie à Berlin 1936

Après sa démobilisation, André Roder décide de rejoindre la zone libre en septembre 1941. Arrêté par les gendarmes français, il est astreint à résidence avec sa famille à Décines. Dénoncé à la Gestapo, il échappe en avril 1944 à l’arrestation alors que sa belle-sœur Fanny et ses neuveux Frida et Marcel sont arrêtés puis déportés par le convoi 73 et 74. Paradoxalement, à l’époque où l’équipe hongroise de water-polo, composé en partie d’athlètes juifs, fait le déplacement à Berlin pour les Jeux Olympiques en 1936 et remporte la médaille d’or, d’autres athlètes juifs ne peuvent concourir. C’est le cas de la sauteuse en hauteur allemande d’origine juive, Gretel Bergmann, écartée de l’équipe nationale à un mois des jeux. Des sportifs de tous pays appellent à Boycotter les Jeux du Reich mais, finalement assez peu prennent la décision de ne pas se rendre à Berlin, à l’exception des nageuses de l’Hakoah de Vienne, Judith Deutsch et Ruth Langer. Dans leur lettre de renoncement à prendre part au Jeux, elles dénoncent les mesures antijuives mise en place en Allemagne par les nazis ainsi que les exclusions et actes de violence dont sont victimes, les Juifs. Dans le domaine sportif, ces derniers ont été exclus des terrains de sport, des piscines et des compétitions nationales, dès les premiers mois de 1933.

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Le début de l'exode des Juifs de l'aquarium juif à Bad Herweck, Mannheim Allemagne 1935

Les sportifs en désobéissance

Après les Jeux de Berlin, l’étau se resserre sur l’Europe et les dispositions antisémites se multiplient dans les clubs sportifs en Europe centrale et orientale. Des paragraphes aryens sont adoptés, excluant les Juifs des clubs et de l’utilisation des équipements sportifs. En raison de leur boycott des Jeux  Judith Deutch et Ruth Langer sont écartée de l’équipe autrichienne de natation avant de réussir à s’exlier, avec plusieures nageuses de l’Hakoah, à quelques mois de l’Anschluss. À cette occasion, un match de football est organisé entre l’Allemagne et l’Autriche pour célébrer l’événement. Lors de cette rencontre, Matthias Sindelar, surnommé le Mozart du football autrichien, marque deux buts et offre la victoire à son équipe, défiant ainsi les dignitaires nazis présent et signifiant son opposition à l’annexion. Quelques semaines plus tard, il refuse d’intégrer la nouvelle équipe du Reich. Ces manifestations d’hostilité et de désobéissance civile à l’encontre de la propagande nazie sont une forme de Rezistenz.

Fin janvier 1939, il est retrouvé mort dans son appartement dans des circonstances mystérieuses, probablement assassiné. Le jour de son enterrement, près de 15 000 personnes suivent le cercueil dans les rues de Vienne. Dès le début de la guerre, cette Rezistenz change de visage : certains sportifs rejoignent l’opposition et la résistance armée. C’est le choix de Janusz Kusocinski, champion de Pologne sur 800, 1500 et 5000 et 10 000 m au début des années 1930. Au Jeux Olympique de Los Angels en 1932, il décroche la médaille d’or sur 10 000 mètres et entre dans l’histoire comme le premier athlète polonais, champion olympique. Des blessures à répétition l’empêchent de poursuivre sa carrière qui s’interrompt définitivement le 1er septembre 1939 lorsque la Pologne est envahie par l’Allemagne. Après s’être porté volontaire, il intègre un régiment d’infanterie et prend part aux combats pour défendre Varsovie.

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Pas un athlète à Berlin! Affiche du Comité d'action contre le déroulement des Jeux Olympiques à Berlin France, 1936

Blessé à deux reprises Janusz Kusocinski est décoré de la Croix de guerre (Krzyz Walecznych). Après la capitulation polonaise, il rejoint une organisation de résistance. Wilki (Les Loups). Arrêté le 28 mars 1940, il est fusillé au cours d’une exécution de masse, le 21 juin, dans la forêt de Palmiry, au nord de Varsovie. En France, la Seconde Guerre mondiale, boulverse le destin de sportifs, souvent au sommet de leurs performances. Victimes des persécutions nazies, de la législation antisémite de Vichy, ils sont pourchassés, arrêtés et déportés. Trois figures aux destins singuliers ont été confrontées à cette situation. Leurs itinéraires varient au cours de la période, au gré parfois de quelques paradoxes. C’est le cas du nageur français Alfred Nakache. Figure emblématique de la natation française à la veille du déclenchement des hostilités, le nageur poursuit un temps la compétition sous le régime de Vichy Héros nécessaire, il participe à la tournée Borotra en Afrique du Nord au printemps 1941, aux côtés de cent cinquante sportifs dont Marcel Cerdan, et devient recordman du monde en juillet de la même année à Marseille.

Mais le champion est la cible d’attaque de journaux antisémites tandis que le Commissaire à l’Éducation générale et aux Sports lui interdit de participer aux championnats de France en 1943. Arrêté à Toulouse en décembre, il est déporté à Auschwitz le mois suivant avec sa femme Paule et sa fille Annie, assassinées dès leur arrivée. Alfred Nakache rejoint le camp d’Auschwitz-III-Monowitz. D’autres sportifs, également de réputation internationale comme Alex Ehrlich, verront leur carrière brisée. Né en 1919 à Komancza, dans un village des Carpates en Pologne, Alex débute sa carrière de pongiste au Hasmonea Lwow, club omnisports créé en 1908 où se retrouvent les sportifs juifs. Il connaît une carrière fulgurante : à trois reprises, aux championnats du monde de Prague (1936), de Baden (1937) et du Caire (1939), il est médaillé d’argent.

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Adolf  Hitler et les membres du CIO font leur entrée dans le stade olympique de Berlin, 1936

Les rencontres et les participations dans les compétitions du champion polonais, installé en France depuis le début des années 1930, sont demeurés célèbres. Ainsi lors d’un légendaire Pologne-Roumanie à Prague, Alex Ehrlich, ambidextre, s’opose à Farkas Maneth, champion juif originaire de Cluj, pendant 2 h 15 pour marquer un seul point, la guerre va interrompre et boulverser une carrière prometteuse à bien des égards. Arrêté en juin 1944 à Bourbon-l’Archambeault, Alex est déporté à Auschwitz. Une autre figure française complète ce tableau : Victor Young Perez, né en 1911 dans le quartier juif de Tunis. Il est venu à la boxe au hasard en remplacant un boxer au Championnat d’Afrique du Nord. Afin de poursuivre dans les meilleures conditions sa carrière, il quitte la Tunisie et vient s’installer à Paris où il exerce divers métiers tout en multipliant les combats de boxe. Le 4 juin 1931, il bat Valentin Angelmann et remporte le titre de champion de France. Quelques mois plus tard, le 26 octobre dans une salle du Vel d’Hiv comble, il devient champion du monde des poids mouche par KO au 2e round contre l’Américain Frankie Genaro.

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L'équipe de football de châteauroux où André Roder est joueur et entraîneur, France, 1938-1939

Il perd son titre l’année suivante mais poursuit sa carrière en combattant dans de nombreux pays avant d’accepter de se rendre à Berlin pour affronter l’autrichien Ernst Weiss, le 11 novembre 1938, dans une ville saccagées après les violences de la Nuit de Cristal. Après l’entrée des troupes allemandes dans Paris, il choisit magré tout de demeurer dans la capitale avec ses amis. Il est arrêté pour défaut de port de l’étoile jaune le 18 juin 1943 et interné à  Drancy pour être déporté à Auschwitz le 7 octobre 1943 par le convoi no 60. Sélectionné pour le travail, il est affecté au camp d’Auschwitz-III- Monowitz, où il se fait connaître comme ancien boxeur.

La pratique dévoyée du sport dans l’univer concentrationnaire

Ces trois sportifs au sommet de leur discipline dans les années 1930 Alfred Nakache, Victor Young Perez et Alex Ehrlich sont arrêtés, interné à Drancy puis déporté. Ils font la terrible expérience de l’univers des camps de concentration. Au même titre que les centaines de milliers de déportés à Auschwitz. Ils subissent la faim, le froid et les humiliations. Reconnus ils sont souvent victimes de tortures sportives Alfred Nakache doit aller récupérer des clés et des cailloux au fond d’une citerne d’incendie. Ces séances, qui se répètent régulièrement, lui valurent le nom de nageur d’Auschwitz, éludant parfois sa stature de champion français, recorman du monde. À d’autres reprises au cours de l’été 1944, les longueurs effectuées dans cette citerne d’eau relèvent d’acte de résistance et de dignité humaine face è l’insoutenable.

Victor Young Perez, affecté au camp d’Auschwitz-III-Monowitz, se fait aussi connaître comme ancien boxeur. Un combat resté célèbre l’oppose à un boxeur de catégorie poids lourd. Il doit confirmer la supériorité du combattant aryen, le matche est interrompu par les gardes SS pour éviter la victoire de Perez. Envoyé dans les kommandos de travail en représailles, il tente de s’évader, repris, il est battu pendant plusieurs jours : sa raison n’est jamais altérée. Employée aux cuisines du camp de Buna-Monowitz, il intègre l’équipe de boxe, constituée par le commandant du camp, d’automne 1943 à mai 1944. Le 18 janvier au cours des marches de la mort parmi les milliers d’autres détenus, une rafale de mitraillette d’un garde allemand met fin à la vie du boxeur.

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L'équipe hongroise de water-polo aux Jeux Olympiques de Berlin, 1936 (György Brödy à droite sur la photo)

Après la libération d’Auschwitz et les marches de la mort, Alfrd Nakache et Alex Ehrlich sont respectivement internés au camp de Buchenwald et de Dachau. Amaigris, affaiblis, ils poursuivent une carrière sportive au lendemain de la guerre. Le nageur d’Auschwitz tente de se reconstruire à Toulouse, après avoir appris l’assassinat de sa femme et de sa fille à Auschwitz. Il reprend l’entaînement de manière intensive et participe aux Jeux Olympiques de Londres en 1948. Aucune performance sportive d’envergure à son actif mais une participation qui témoigne d’une réelle force morale alors que sa carrière a été en grande partie interrompue et boulversée par les années de guerre. De retour des camps, alors que ses parents restés à Lwow (Pologne) ont été assassinés, Alex Ehrlich s’installe définitivement à Paris, intègre l’équipe de France et devient, comme Farkas Paneth, un entraîneur de renommée internationale. Une reconnaissance qui témoigne de la passion de vivre d’hommes que le régime nazi avait promis à la mort.

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le foutballeur autrichien Matthias Sindelar lors de la rencontre entre les équipes autrichienne et allemande, Autriche 1938

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04/01/2014
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