LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

LES SINTI ET ROMS AU CAMP DE CONCENTRATION DE NATZWEILLER-STRUTHOF

À partir de 1933, les Sinti et Roms qui vivaient en Allemagne perdirent leurs droits et furent persécutés par le régime nazi. À la fin de l’année 1938, Le Reichsführer SS Heinrich Himmler ordonna leur recensement. Dans le cadre d’analyses de race soit-disant scientifiques, les 24 000 expertises réalisées furent un préliminaire du génocide de cette minorité qui vivait dans le pays depuis six cent ans.

À l’origine des termes Sinti et Roms vient du romani, la langue parlée par ces population minoritaires, le terme Sinti désignant celles qui vivaient en Europe centrale depuis le Moyen Âge, le terme Roms se réfèrant à celles qui sont arrivées en Europe du Sud et de l’Est.

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Détermination de la couleur des yeux lors d’une pseudo-analyse de race

Après le décret pris par Himmler le 16 décembre 1942, les Sinti et Roms furent déportés du Reich allemand et de l’Europe occupée vers le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz- Birkenau, pour y être en grande partie exterminés, plusieurs centaines de milliers d’entre-eux furent victimes du génocide; certaines estimations parle de près d’un demi-million. Au moins cinq cents furent déportés au camp de concentration de Natzweiller au Struthof (Alsace) et dans les camps avoisinants. Ce chiffre a pu être établi grâce aux régistres de numéros et à des documents de l’administration du camp qui ont été conservés. Cependant, seules ont pu être recensées les personnes que les SS avaient classées dans la catégorie (Tsiganes). Il est très probable que certains ont été répertoriés dans d’autres catégories de prisonniers.

Leur nombre, leurs noms et leurs destins demeurent inconnus à ce jour. On a aussi qu'une connaissance très rudimentaire des parcours individuels des Sinti et Roms du camp de Natzweiler. Jusque dans les années 1980, on a refusé aux survivants la reconnaissance politique et juridique du génocide perpétré par les nazis pour des motifs de race. Il n’y eut pas non plus d’analyse scientifique des tenants historiques, ni de documentation sur les destins des victimes. De ce fait, les lacunes au niveau de la recherche sur leur situation à Natzweiler n’ont pu être comblées, Malgré les efforts du Centre de documentation et de la culture des Sinti et Roms allemands. Presque tous les témoins sont décédés dans l’intervalle et très peu ont laissé des écrits.

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Le Sinto Silvester Lambert qui a survécue aux expériences sur le typhus menées par Eugen Haagen au camp de Natzweiler-Struthof

Les dix premiers Sinti et Roms arrivèrent à Natzweiler le 26 octobre 1941 avec un transport de 150 prisonniers en provenace du camp de concentration de Buchenwald. Ils étaient les tous premiers prisonniers du camp incarcérés sur des critères raciaux. Entre octobre 1941 et novembre 1944, au moins dix-sept convois de déportés y amenèrent des Sinti et Roms de nationalité allemande, française, lituanienne, autrichienne, polonaise, roumaine russe, hongroise et tchèque. Parmi eux, les Hongrois et les Allemands représentaient les deux groupes nationaux les plus importants. Ils furent internés dans le camp principal et dans quinze camps extérieurs : Bisingen, Cochem, Dautmergen, Frommern, Iffezheim, Kochendorf, Leonberg, Neckarelz, Neckargerach. Obernai, Schömberg, Schörzingen, Sainte-Marie- aux-Mines, Vaihingen/Enz et Zell am Harmesbach. Parmi les prisonniers Sinti et Roms déportés à Natzweiler et dans ses camps annexes, au moins 133 furent assassinés, victimes d’expériences pseudo-scientifiques, de mauvais traitements, de maladies et de privations. Les expériences inhumaines que pratiquèrent sur eux les (Scientifiques) nazis constituent un chapitre particulièrement atroce de l’histoire de ce camp.

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Les premières grandes vagues d’internement de ces populations à Natzweiler étaient déjà liées aux expériences sur le typhus exanthématique planifiées par le bactériologue Eugen Haagen. Il avait réclamé cent Sinti et Roms détenus au camp d’Auschwitz dans le but de s’en servir comme cobayes pour tester un nouveau vaccin contre cette forme de typhus à la demande de l’Armée de l’Air allemande. Ses études avaient reçut un financement officiel de la part de la Deutscheforschungsgemeinschaf (Fondation allemande de la recherche).

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Vue de l’exposition permanente du Centre de documentation à Heidelberg

Les expériences du bactériologue D'Eugen Haagen

C’est probablement le 9 novembre 1942 qu'un convoi de Sinti et Roms de sexe masculin et de nationalité allemande, polonaise, tchèque et hongroise quitta le camp d’Auschwitz en direction de l’Alsace. Âgés de 11 à 64 ans, les prisonniers étaient déjà si faibles que dix-huit d’entre eux décédèrent au cours du transport. Les quatre-vingt-deux survivants furent enregitrés officiellement à Natzweiler le 12 novembre 1943. Après un examen médical, Haagen refusa ces cobayes. Il se plaignit du mauvais état de santé du matériau comme il les qualifia et demanda de nouveaux prisonniers à Auschwitz. Après le décès de dix autres déportés, les soixante-douze qui étaient encore en vie furent renvoyés à Auschwitz en décembre 1943. Haagen obtint très vite de nouvelles victimes; les SS organisèrent à Auschwitz un autre convoi de quatre-vingt neuf hommes, qui en raison de leur bon état physique, constituaient à leurs yeux un matériau expérimental idéal pour Haagen. Après un voyage en train d’environ huit jours dans des conditions inhumaines, ces derniers furent enregistrés à Natzweiler probablement les 10 et 11 décembre. Fin janvier début février, les expériences sur le typhus exanthématique commencèrent. Le Sinto Karl Kreutz rédigea ce témoignage après la guerre : Nous étions stritement isolés des autres prisonniers du camp. Nous avions tous très peur. Un jour, peut être vers 10 heures, nous avons tous dû nous rendre dans un cabinet médical. Nous avons été accueillis par deux hommes en blouse blanche, avec une amabilité hypocrite, mais avec des yeux glacés. Je n’ai jamais pu connaître les noms de ces soi-disant médecins. Sans un mot, on m’a pris le bras gauche, pour le lacérer en grillage, jusqu’à ce qu’il saigne abondamment, Cette procédure était très douloureuse. Sur cette hémorragie abondante, on m’a versé et enduit presque toute une cuillère de poison de typhus. Mon bras gauche fut maintenu vers le haut jusqu’à ce que le poison se soit mélangé avec mon sang.

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Extrait de la liste des noms des Sinti et Roms dans le registre du camp de Natzweiler-Struthof

De ce fait, il était impossible pour moi et pour les autres de rincer le poison. Après cette intervention satanique chez les quarante camarades, nous savions avec certitude que nous serions des cobayes pour nos bourreaux. Après très peu de temps, nous étions tous allongés avec une très forte fièvre. Nous devions tous avoir au moins 39 à 400 degrés de fièvre on ne l’a pas mesurée, la fièvre dura très longtemps. Nous avons appris plus tard que cette fièvre avait duré plus de dix jours sans interruption. Nous tombions de nos lits, sans vie et sans force. Personne ne s’est occupé de nous.

Nombreuses furent les victimes des expériences sur le typhus qui connurent une mort atroce. Aujourd’hui encore, on ne peut en donner le nombre exact. Otto Bickenbach nommé professeur à l’université du Reich nouvellement fondée à Strasbourg en novembre 1941, utilisa lui aussi des Sinti et Roms pour des expériences au camp de Natzweiler, en avril ou mai 1943, il y réalisa, avec l’aide de son assistant, le médecin adjoint de la Luftwaffe Helmut Rühl, la première de deux à trois séries d’expériences avec du gaz toxique au phosgène dans une chambre à gaz spécialement aménagé dans ce but. Vingt-quatre prisonniers au total, dont des Sinti et Roms, y furent soumis. Deux des victimes décédèrent le 7 et le 25 mai 1943. Comme cause officielles de la mort, l’administration du camp nota pneumonie et faiblesse cardiaque et physique dans les certificats de décès.

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Plaquette publiée par le centre européen du résistant déporté

En décembre 1943 et en juin et août 1944, plusieurs expériences avec des gaz toxiques furent effectuées sur des prisonniers Sinti et Roms. Eugen Haagen et Otto Bickenbach furent traduit devant le tribunal de Nuremberg chargé de juger les criminels de guerre, ainsi que vingt autres médecins. Un tribunal français les condamna aux travaux forcés à perpétuité en 1954. Deux ans plus tard, ils furent renvoyés en Allemagne dans le cadre d’une amnistie. Haagen obtint une chaire de professorat et travailla pour le centre fédéral de recherche sur les maladies virales des animaux. Otto Bickenbach s’installa à nouveau comme médecin. Un tribunal pour les professions de santé à Cologne rendit le jugement suivant à son sujet le 10 février 1966 : On ne peut lui reprocher ni un comportement relevant du droit pénal, ni une violation des obligations professionnelles d’un médecin. Quant à Helmut Rühl, il devint directeur médical en chef en Rhénanie  du Nord-Westphalie.

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Déportation de Sinti et Roms de la ville de Remscheid vers le camp d’Auschwitz en mars 1943

Tandis  qu’Haagen et Bickenbach et de nombreux autres responsables du génocide des Sinti et Roms menèrent une vie normale en toute impunité après la guerre, les victimes restèrent pendant des décennies à l’écart de la mémoire historique et du souvenir collectif des nations européennes. Le centre de documentation et de la culture Sinti et Roms allemands de Heidelberg. Cette institution unique en Europe est soutenue par la République fédérale allemande et par le Land du Bade-Wurtemberg. Lors de son inauguration en 1997, le président fédéral de l’époque Roman Herzog, précisa dans son discours que le génocide des Sinti et Roms a été exécuté pour les mêmes motifs de folie raciale, avec la même détermination d’extermination planifiée et définitive que celui des Juifs.

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Le Centre de documentation à Heidelberg

Une exposition permanente relate l’histoire de leur persécution et de leur extermination par le régime nazi. Des témoignages et des rapports des survivants sont confrontés aux documents officiels; d’anciennes photos de famille rappellent que, derrière les documents abstraits de l’extermination minitieusement organisée, se cachent d’innombrables vies détruites et des destins brisés. Le service pédagogique du centre propose une réflexion sur les éléments de l’exposition à travers les visites guidées, journée de projet, un audio-guide est è la disposition des visiteurs étrangers en anglais, espagnol, français et japonais.

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Discussion avec un groupe d’élèves dan  le Centre de documentation d’Heidelberg

Le centre n’est pas seulement un musée d’histoire contemporaine, mais également un lieu de rencontre et de dialogue. Il donne la parole à ceux qui sont aujourd’hui victimes de discrimination, et de violences racistes et œuvre pour les droits de l’homme. Il s’attache aussi à faire découvrir les apports culturels des Sinti et Roms entre autres dans la littérature, les beaux-arts et la musique. Au printemps et à l’automne, des conférences, expositions, films concerts et excursions sont proposés régulièrement au public.



07/12/2013
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