LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

LES FRANÇAIS LIBRES

Si les combats de la France libre pour la libération de la France ont été mainte fois retracés, le visage des hommes et des femmes engagés dans les Forces Françaises Libres de 1940 à 1943 demeure encore dans l’ombre. La sociologie de ces combattants à travers leurs origines géographiques, sociales, leur structure familiale et leur niveau culturel, se dessine une France singulière qui permet de percer les raisons et les conditions de leur engagement.

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Le général de Gaulle passe en revue les premiers engagés volontaires de la France libre le 14 juillet 1940 à Londres

La qualification des français libres a fait l’objet d’une définition officielle. Une instruction du ministère des Armées du 29 juillet 1953 dispose que peuvent être considérés comme Français libres les militaires ayant fait partie des Forces Françaises libres (FFL) entre le 18 juin 1940 et le 31 juillet 1943. Les agents P1 et P2 ayant appartenu avant le 31 juillet 1943 à des réseaux affiliés au Comité national français et les évadés de France qui ont rejoint une unité ex-FFL même après le 31 juillet 1943 pour des cas de force majeure telle que l’incacération consécutive à leur évasion. La date butoire retenue le 31juillet 1943 correspond à la fusion des forces giraudistes et gaullistes, les FFL étant alors officiellement dissoutes au profit des Forces françaises, combattantes, c’est-à-dire l’armée du Comité français de la libération nationale (CFLN). On peut donc retenir deux critères essentiels dans la définition des Français libres un engagement volontaire et souscrit au bénéfice des FFL avant le 31 juillet 1943. Autrement dit, les citoyens français d’Afrique du Nord (AFN) ou de Corse, après septembre 1943, mobilisés dans les armées du CFLN ne peuvent prétendre au titre de Français libres, puisque requis et non volontaire, même si certains ont servi dans des unités issues des FFL comme par exemple la 1re DFL ou la 2e DB.

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Défilé en Nouvelle-Calédonie le 24 septembre 1940

De même les engagés volontaires qui affluent en masse, en France, vers les armées de Libération à partir de l’été 1944 ne sont pas Français libres car leur acte d’engagement est postérieur au 1er août 1943. Le cas des évadés de France 20 000 tout au long de la guerre est un peu différent. En effet, un grand nombre d’entre eux ont subi un long internement en Espagne qui ne leur a pas permis de rejoindre l’AFN ou l’Angleterre avant la date fatidique du 1er août 1943. Aussi dans le cas des évadés de France, sera considérée comme date d’engagement dans les FFL non pas la date de la signature formelle de l’engagement, mais celle de la première tentative de passage de la frontière.

Une autre question délicate concernant les engagés volontaires originaires des régions de l’Empire colonial ralliés à la France libre, qui n’avaient pas le statut de citoyen français en 1939. C’est le cas des milliers de soldats de l’Afrique- Équatoriale française, Tchadiens, Centrafricains, Gabonais, Camarounais, qui rejoignirent les FFL après le ralliement d’août 1940. Plus tard, viendront les Polyniésiens, les Néo-Calédoniens, les Indiens des Établissements de l’Inde, les Syriens, les Somaliens ou les Réunionnais. Ces engagés sont d’incontestables Français libres et ils forment le noyau dur des FFL des premières heures.

André Martel évalue leur nombre à 26 000, soit un peu plus de la moitié de l’ensemble des 53 000 Français libres Si ont ajoute à ce fort noyau colonial les quelque 3000 engagés étrangers (comme par exemple les légionnaires de la 13e DBLE), on peut affirmer, sans goût exgéré du paradoxe, que les Français libres furent composés majoritairement de non-français ou, du moins, de non-citoyens français. Par ailleur, à la différence des engagégement souscrits dans la Résistance intérieure qui pouvaient, selon certaines modalités, demeurer compatible avec le maintien du cadre social ou familiale habituel (tous les résistants n’ont pas basculé dans la clendestinité absolue), l’engagement dans les FFL suppose une double et irrémédiable arrachement celui de l’ordre légale incarné par l’État français de Vichy; mais aussi celui, plus douloureux et sans espoir de retour. À l’univers quotidien. Les Français libres ont brûlé leurs vaisseaux; ils ont fait le choix de tout quitter, pays, métiers, études, familles, et de gagner un pays étranger à une époque ou la victoire finale était loin d’être acquise. On ne saurait négliger ce fait essentiel pour comprendre la psychologie particulière qui les animent.

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Français libres du corps expéditionnaire à destination de Dakar, septembre 1940

La faible présence féminine (3% des engagés) s’explique par d’évidentes contraintes militaires, matérielles et culturelles. L’âge moyen des engagées est nettement supérieur (de quatre ans) à celui des jeunes gens, phénomène lié certainnement à ces mêmes contraintes culturelles : dans la société française à la fin des années trente, il était particulièrement difficile à une jeune fille de moins de 21 ans de tout quitter. Environ 1200 femmes rejoignent néanmoins la France libre. Elles occupent des emplois civils dans diverses administrations et des services de santés (comme Ambulances Spears ou le service des assistantes sociales de (France libre) ou des emplois militaires, elles sont regroupées dans une force féminines (Corps féminin français, puis Auxiliaires féminines de l’armée de terre AFAT) dirigé par le capitaine Hélène Terré, ce qui constitue une innovation considérable dans l’armée française.

Les Français libres se distinguent également par leur grande jeunesse. L’âge moyen à l’engagement s’établit à 25,4 ans, ce qui signifie qu’une très forte proportion (40%) des Français libres sont mineurs au moment de signer leur engagement. Beaucoup mentent d’ailleurs sur leur âge pour pouvoir signer et une proportion non négligeable de volontaires (5%) ont moins de 17 ans lors de l’engagement. Pour encadrer ces très jeunes volontaires qu’il est impossible d’envoyer dans des unités combattantes. La France libre dut créer, dès septembre 1940, une stucture qui, mutation en transformation, deviendra l’École des cadets de la France libre, sorte de Saint-Cyr français libre. Inversement les volontaires âgés de plus de 30 ans sont peu nombreux : ils représentent 30% des Français libres sont nés avant 1900. On comprend mieux ainsi le manque récurrent de cadres dont souffrirent de bout en bout les FFL. Logiquement, la proportion des hommes mariés au moment de l’engagement est faible (17%) et plus encore celle des pères de famille (8%).

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Volontaires féminines des FFL lors du défilé à Londres le 14 juillet 1940

Par delà ces descriptions globales ce qui frappe également c’est un fort phénomène de génération : 57% des Français libres sont nés entre 1919 et 1923. Enfants des héros de la génération du feu. Les Français libres sont nés dans une France sortie victorieuse mais épuisée de la Première Guerre mondiale. Élevé dans le souvenir et le culte de la Grande Guerre leur père pour la grande majorité d’entre-eux, a participé au conflit, ils furent aussi les enfants d’une France à la démographie effondrée. L’étude des structures familiales permet d’ailleurs d’appréhender une autre spécificité des Français libres. Dans la France des classes creuses qui ne faisait pratiquement plus d’enfants (900 000 naissances par an vers 1900, 300 000 en 1916, environ 600 000 au début des années vingt), les Français libres proviennent majoritairement de familles nombreuses : les fils uniques sont minoritaires (à peine 12% de l’ensemble) alors que 42% des engagés sont nés dans des familles d’au moins quatre enfants et encore 23% presque le quart de l’effectif, dans des familles dù, au moins cinq enfants, chiffre qui sont en total décalage avec la moyenne nationale. En outre, dans ces familles nombreuses, les Français libres sont le plus souvent les derniers de la fratrie : beaucoups de cadets ou de benjamins, très peu d’aînés.

Dernier fait notable, la très forte proportion d’orphelins : 24% des engagés. Cette proportion étonnante, conséquence de la Grande Guerre, est nettement plus forte que la moyenne nationale; elle constitue une donnée essentielle dans la compréhension du phénomène français libre et a certainement influencé dans les motivations de l’engagement.

L’étude des origines géographiques quant à elle, confirme la singularité de la population française libre tout en révélant de fortes distortions. La façade altantique et, plus encore, la Bretagne sont nettement surreprésentées : 26% des Français libres sont Bretons (quand la Bretagne selon le recensement de 1936, ne représentait qu’un peu plus de 10% de la population nationale) et 41% proviennent des régions situées entre la Baie de Somme et la frontière espagnole. Paris et sa région sont normalement représentés (16% des volontaires).

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Marins devant le Carlton Gardens à Londres

En revanche, des régions entières, dont certaines à la forte fibre patriotique, sont nettement sous-représentées, en particulier celles d’un grand quart nord-est, du centre et de l’ensemble méridional. Le seul petit port breton de Douarnenez fournit plus de Français libres que les villes de Toulouse, Marseille et Lyon réunies. Brest presque autant que Paris Si l’on raisonne en termes de zones d’armistice, la France libre est très nettement un phénomène de zone nord et coloniale : la zone sud (30% de la population nationale) ne fournit que 10% des engagés quand la zone nord (avec les zones annexées et rattachées) en fournit 71% et l’empire 13,5% (alors qu’il ne représentait qu’environ 3% de l’ensemble nationale, hors de population indigènes, en 1936). À noter également la proportion élevée de Français libres issus de familles françaises installées à l’étranger (5%).

De toute évidence, de lourdes contraintes matérielles pèsent ici : il était tout simplement plus facile  de gagné la Grande-Bretagne en juin 1940 depuis Bayonne ou Brest que  depuis les villages reculés de l’Alsace, région déjà annexée de fait. Cette hypothèse est d’ailleurs reforcée par l’analyse plus précise de l’origine géographique des Français libres de la seconde vagues après l’été 1940, c’est-à-dire à une époque où les conditions du départ étaient sensiblement égalisées entre les régions du fait de la répression orchestrée par l’occupant et le régime de Vichy.

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Arrivée de la colonne Leclerc à Tripoli (Lybie) le 25 janvier 1943

 La géographie des engagés de 1941-1943 est nettement moins désiquilibrée que celle de juin-juillet 1940 la part  de l’Ouest atlantique diminue nettement à l’exception notable des régions méridionnales (Provence, Languedoc) qui demeurent jusqu’au bout des terres de mission pour la France libre et fournissent un nombre très faible de volontaires. La singularité la plus forte demeure toutefois celle que révèlent les origines sociales et le niveau d’études. En schématisant, on peut dire que les milieux populaires sont sous-représentés que les classes moyennes bénéficient d’une représentation normale et que les classes supérieures sont nettement surreprésentées. Les fils d’agriculteurs et d’ouvriers ne représentent respectivement que 11% et 14% des engagés, soit un quart des Français libres, alors que ces deux catégories sociales formaient 63% de la population active au terme du recensement de 1936.

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Acte d’engagement dans les FFL de Pierre Brossolette sous le nom d’emprunt de Pierre Bourgat le 23 septembre 1940

Ces origines sociales élevées sont en corrélation avec le haut niveau d’études des Français libres. La proportion des lycéens et des bacheliers est particulièrement importante : 45% des Français libres avaient le baccalauréat ou préparaient ce diplôme au moment de leur engagement à une époque où moin de 7% d’une classe d’âge en étaient détenteurs et où il éxistait moins de 90 000 étudiants dans tout la France. Si l’on affine l’analyse, on remarque la très forte proportion d’étudiants (17% des engagés) et, plus encore, celles des grandes écoles (7%), en préciant cependant qu’il s’agit  pour l’essentiel d’élèves des grandes écoles militaires et scientifiques et non, à quelques rares exceptions près, d’étudiants de l’école normale supérieure ou de l’École libre des sciences politiques.

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Équipage du groupe Lorraine des Forces aériennes françaises libres

En exprimant ces chiffres en valeurs absolues, cela équivaudrait à une promotion de Sain-Cyr et une demi- promotion de Polytechnique ayant rejoint la France libre. Ces données spectaculaires permettent de relativiser les lamentations des dirigeants de la France libre, à commencer par De Gaulle lui-même, sur la faillite des élites. Si effectivement, les élites brillèrent par leur absence à Londres en 1940, leurs enfants étaient bien présents.



22/12/2013
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