BIR HAKEIM, LE GRAND TOURNANT DE LA FRANCE LIBRE (MAI-JUIN 1942)
À propos de Bir Hakeim les historiens militaires parlent parfois d’exploit ou de faits d’armes. Lorsqu’une brigade de 3 700 hommes tient en échec une armée de 35 000 soldats et l’empêche de poursuivre une offensive décisive pour l’issue d’une guerre, entraînant du même coup son échec final, cela s’appelle une victoire.
Vue aérienne du fort de Bir Hakeim
Printemps 1942, la France libre existe depuis près de deux ans. Elle a connu des pages de gloire, elle a réalisé des prouesses, dont les moindres furent pas les ralliements de territoires de plus en plus vastes de l’Empire (en Afrique noire essentiellement), elle a recruté à tous les nivaux des hommes de troupes aux chefs d’unités des volontaires décidés à tout sacrifier pour la victoire finale, alors si éloignée, elle a livré des premiers combats en Lybie, en Érythrée, sans parler des exploits de ses pilotes pendant la bataille d’Angleterre et de ses marins au cours des premières missions des FNFL. Mais elle a connu en même temps, d’immenses déconvenues : De Gaulle n’a rallié ni les élites, ni les masses il a échoué devant Dakar, il a livré en Syrie un combat fractricide contre l’armée du Levant, dont seulement un cinquième s’est rallié à lui, il n’a pas réussi à se faire reconnaître comme un allié à part entière par les britanniques.
Les choses pourtant, ont commencé à changer dans les derniers mois de 1941. De Gaulle a constitué deux brigades indépendantes : la 1re et la 2e BFL, commandées respectivement par le général Larminat lui-même, avec le général Koenig comme adjoint, et par le colonel Cazaud, l’ensemble étant coiffé par Larminat, jusqu’àlors haut commissaire pour l’Afrique française libre. De Gaulle les a mises à la disposition du général Auchinleck, commandant en chef britannique au Moyen-Orient, en précisant : Pourvu que ce soit pour combattre.
Le général Koenig et le colonel Masson, 1942
Il sait en effet que des événements importants vont se dérouler en Lybie, où Rommel a débarqué en février 1941, à la tête de l’Afrika Korps. Bien sûr ces deux brigades représentent peu de chose au sein de la VIIIe armée britannique quelques milliers d’hommes tout au plus mais, Rommel ayant remporté quelques succès, ses un appoint qu'on ne peu négliger. Les Britanniques ont contraint L’Afrika Korps à abandonner Benghazi, en raison des difficultés d’approvisionnement et aussi, du moins si l’on en croit Rommel de la mollesse de l’allié italien.
Mais le flottement allemand ne dure pas. Dès la mi-janvier 1942, Rommel lance une contre-offensive qui contraint la VIIIe armée à retraiter à son tour, et il réocupe Benghazi le 29. Les Anglais se replient alors sur la ligne Gazala (au nord) Bir Hakeim (au sud). Pourquoi Bir Hakeim, où personne n’est jamais allé, qui n’est qu’un ancien poste ottoman, puis italien, déserté depuis longtemps, et où ils subsistent que les ruines d’un vieux fortin et où la platitude du désert n’est troublée que par une minuscule éminence baptisée Les Mamelles?
Tout simplement parce que c’est le seule point, signalé sur les cartes susceptibles de constituer le môle sud de la ligne de défense alliée, tandis qu'au-delà, c’est le grand désert. En outre, dans l’hypothèse d’une contre-offensive fondée sur l’utilisation des blindés, cette ligne pourrait constituer une plaque tournante, ou l’on pourrait stocker des approvisionnements en carburants et en munitions.
Dès son arrivée le 15 février 1942, Koenig commence par organiser la position. Il divise le quadrilatère d’environ 16 km2 en trois secteurs confiés à trois unités le BM2 au nord, le 2e bataillon de Légion à l’est, le bataillon du Pacifique au sud-ouest. Le 1er bataillon de fusiliers marins est chargé de la défense antiaérienne, les autres unités (3e BLE, 1er BIM, 1er régiment d’artillerie, 22e compagnie nord-africaine, train, génie. transmission) sont en réserve.
1er régiment d’artillerie coloniale, 1942
En outre l’organisation d’une position relativement peu accidentée suppose d’importants travaux de terrassement destinés à la garantir contre d’éventuelles attaques aériennes. Tout doit être enterré : armements, véhicules, stocks de carburants, approvisionnements, hommes. Par ailleur, la protection terrestre est assurée par un immense champ de mines en forme de V tout autour de la position la pointe du V étant tournée vers le nord, complété par un dispositif appelé marais de mines destiné à dissuader les véhicules et les fantassins ennemis de s’engager plus avant. L’ensemble a été conçu par Larminat qui commande la brigade jusqu’au 20 avril date où il est nommé commandant des forces françaises du Western Desert et où Koenig devient officiellement commandant de la 1re BFL et par le capitaine André Gravier, qui commande les 500 sapeurs-mineurs chargés de poser les mines : 63 500 mines en tout dissiminées sur 3 600 hectares.
En quelques semaines Bir Hakeim devient une sorte de ville troglodyte peuplée de quelques 3 700 habitants, qui creusent le sol pour s’y enterrer et sont habités par la volonté de défier une armée allemande réputée invincible. Ces hommes sont principalement des soldats de l’Empire, ces ultramarins auxquels on a rendu hommage en 2011. Pour mettre en évidence l’insuffisance et surtout l’indiggnité des troupes qui allaient affronter la glorieuse Afrika Korps. Le journal nazi Berliner Illustrierte Zeitung aura cette formule : un sauvage mélange de races. À l’adjectif près, il ne se trompera pas. Jamais en effet, armée ne fut plus mélangée, plus panachée, que la 1re Brigade légère française libre : Noirs de toutes les ethnies, Algériens, Marocains, Tunisiens, Tahitiens, Maquisiens, Calédoniens, Vietnamiens, Syriens, Mauriciens, Libanais, Malgaches, Égyptiens, Somaliens, constituent pour le moins une troupe où les minorités visibles abondent, une étonnate synthèse de la France et de son Emire.
Bir Hakeim est toujour apparu comme un drame, ponctué d’épisode brefs et d’actions imprévisibles, ilustrant cette évidence : dans une campagne, dans une bataille, tout peu arriver à chaque instant. Durant le siège, il ne se passera pas de jour sans que Koenig se pose cette question lancinante : Que nous réserve l’ennemi? À quoi semble répondre un ancien, l’artilleur Roger Nordmann : Toutes les minutes je me disais c’est la dernière! Premier acte : le rideau se lève au matin du 27 mai, après un intense remue-ménage en coulisse, bruits lointains de moteurs et de canonnades vers le nord, passages d’avions, une colonne s’avance vers le secteur tenu par le bataillon du Pacifique : c’est l’avant-garde blindée italienne de la division Ariete. Une première vague de 50 chars ouvre le feu; la réplique des français est instantanée. Bilan les Italiens battent en retraite en abandonnant une trentaine de chars et une centaine de prisonniers, dont un colonel qui confiera à Konieg qu'il avait reçu la mission d’écraser les Français en un quart d’heure. Deuxième actes : il s’ouvre sur une attaque d’envergure des Italiens dans le champ de mines où Koenig envoient plusieurs détachements de reconnaissance. Elle est repoussée, mais au soir du 28 mai, Koenig confie : Nous n’avons eu affaire qu'aux Italiens.
À mes yeux, la preuve n’est pas encore faite de la valeur de la Brigade. Elle commence à être faite lors du mouvement du bataillon du Pacifique sur la position de Rotonda Signali, à l’ouest de Bir Hakeim. Mais ce deuxième acte s’achève sur une incertitude : on ne sait pas ce qui se passe, au juste, au nord de Bir Hakeim. Des mouvements importants laissent penser que l’ennemi opère un retour en force. Le troisième acte est le plus long : il s’étend sur six jours, du 2 au 7 juin. La position se trouve totalement encerclée, pilonnée par l’artillerie ennemie, appuyées par l’intervention de la Luftwaffe.
Bataillon d’infanterie marine en action à Bir Hakeim
Rommel se sent suffisamment sûr de lui pour adresser, non à leur chef mais aux troupes de Bir Hakeim, un ultimatum les invitant à se rendre pour éviter toute effusion de sang inutile. Le refus de Koenig entraîne, comme on pouvait s’y attendre, une recrudescence des bombardements terrestres et aériennes, mais le moral demeure excellent, surtout à la suite des propos tenus par le général Ritchie, commandant de la VIIIe armée britannique qui déclare à la BBC le même jour que la défense de Bir Hakeim par les Français libres est un exemple pour tous.
Le monde extérieur commence à regarder vers Bir Hakeim. Il faut s’accrocher coûte que coûte, il faut que Rommel et ses troupes s’épuisent devant Bir Hakeim pour que les troupes alliées se ressaisissent après le désastre subit au nord, dans la région dite du Chaudron. Au matin du 7 juin. Koenig reçoit un télégramme du général Auchinleck, cette fois : tous les efforts sont maintenant nécessaires, soyez opiniâtres et agressifs afin de transformer la bataille actuelle en une victoire.
Le maréchal Rommel à la tête de l’Afrika Korps à Bir Hakeim en 1942
Le même jour le commandant en chef allemand en Méditerranée, Kesselring, ordonne à Rommel d’attaquer ce sale trou avec toutes les troupes terrestres disponibles; il exige une offensive de grand style. Le rideau se baisse sur un troisième acte où rien de décisif n’est encore joué. Le quatrième acte commence, la journée la plus longue du siège. On est au quatorzième jour de la bataille lorsque l’on aurait dû tenir, au grand maximum sept jours. Les troupes se sont jusque-là bien comportées et le moral reste élevé, mais la fatigue et la tension nerveuse commencent à se faire sentir. La chaleur est de plus en plus accablante et la ration quotidienne d’eau ne suffit plus. Depuis le début du siège, on n’a pas cessé de vivre dans l’illusion que la VIIIe armée finirait par prendre l’avantage au nord, d’où le fracas des combats parvient jus’à Bir Hakeim. On n’en est soudain moins sûr.
La journée du 8 juin est très dure et la plus longue du siège, avec trente-quatre tués et soixante-quatre blessés pris en charge par le groupe sanitaire divisionnaire. La position est profondément boulversée, parsemée de trous, de cratères, de carcasses noicies et fumantes. On manque d’obus, on manque d’eau. Bir Hakeim tient toujours. Dans la journée du 9 juin, les combats semblent s’étendre à l’ensemble des secteurs. La RFA, sollicitée, intervient rapidement, mais ne peut imposer qu’un simple répit. Pris à partie par les bren-carriers de la Légion et du BMI, l’ennemi perd plusieurs chars et amorce un repli. Au Nord, les Allemands s’efforcent de percer, mais ils se heurtent à une vive risposte des légionnaires, des fusiliers marins et de la compagnie nord-africaine. Dans ce secteur, le succès est acquis, mais le prix en est élevé en tués, en blessés, en pièces d’artillerie hors combat.
Au milieu de l’après-midi, Koenig a reçu de la 7e division britannique un message confidentiel, qui ne l’a pas surpris, mais qui crée une situation nouvelle (la position de Bir Hakeim n’est plus considérée comme essentiel. Dans ces conditions, une évacuation peut-elle être envisagée? Si cette évacuation n’est pas souhaitée. La brigade pourait resté sur place en recevant les ravitaillements indispensables par air). Koenig, choisi la sortie qui permettra à la brigade d’échapper à l’enfer où elle est plongée depuis deux semaines. Il en informe les commandants d’unités et procède avec eux aux préparatifs. Ce jour-là, dans les grandes capitales alliées, l’écho de la résistance des français libres de Bir Hakeim commence à prendre de l’ampleur : Défense héroïque des Français! Magnifique fait d’armes!, et même : les Allemands battus devant Bir Hakeim, tels sont les titres de la presse internationale. Pour le monde entier, écrira de Gaulle dans ses mémoires de guerre, le canon de Bir Hakeim annonce le début du redressement de la France.
Au matin du 10 juin, L’ensemble de la position est prise sous le feu de l’artillerie ennemie; les obus tombent un peu partout, donnant l’impression de tester les réactions des assiégés, plutôt que de viser des cibles précises. En début d’après-midi, trois vagues de 130 avions surgissent au nord, en une armada constituant la plus forte concentration aérienne lancée contre Bir Hakeim depuis le début du siège. Les dégâts matériels sont importants (camions détuits, transmissions une fois de plus coupées); en revanche, les pertes en vies humaines sont quasi nulles. Ce bombardement s’accompagne d’un déchaînement de l’artillerie ennemie, en particulier sur le secteur nord-ouest, dangereusement menacé par une avancée de chars et d’automitrailleuses. Vers 18 heures, on transmet à Koenig un télégramme du général de Gaulle : Général Koenig, sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous ête son orgueil.
Le fanion du bataillon des fusiliers marins après les combats de Bir Hakeim est présenté au général de Gaulle
Il est 19 heures, il faut tenir encore deux heures, les deux dernières du siège, sans doute les plus cruciales de toutes. La Luftwaffe lance une nouvelle attaque au cours de laquelle 120 à 130 avions déversent sur Bir Hakeim plusieurs dizaines de tonnes de bombes. Les défenseurs se sentent une fois encore, écrasés sous ce déluge. À nouveau, l’artillerie ennemie se déchaîne sur le nord, entraînant une vive réplique de trois batteries françaises. Le cinquième acte se joue dans la nuit du 10 au 11 juin, sur cette nuit fantastique, selon le mot de Pierre Messmer. C’est la nuit de tous les exploits à commencer par celui de Susan Travers, qui conduit la voiture de Koenig hors de la position, de tous les dames de tous les actes héroïques et glorieux, qui permettront à de Gaulle de déclarer, au soir du 11 juin, à la BBC :
La nation a tressaillit de fierté en apprenant ce qu’on fait ces soldats à Bir Hakeim. Braves et purs ces enfants de France qui viennent d’écrire, avec leur sang, une de ses plus belles pages de gloire! Brillante irruption de la France libre dans la guerre mondiale, Bir Hakeim était en train de tout changer. Cette page de gloire, ne se contente pas de faire tressaillir les Français, elle retient l’attention des peuples alliés et elle inquiète les ennemis de la France.
C’est fini. Le drame est joué. Place maintenant, à l’écho qu’il va produire dans l’histoie.
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