LES CHRONIQUES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

L’EXODE DE MAI- JUIN 1940

Lancer dès 1939, un plan d’évacuation, établi avant la guerre, permet de faire partir dans le calme les populations les plus exposées près des frontières avec l’Allemagne. Mais l’offensive allemande en mai 1940 entraîne des cohortes de réfugiés venus de Belgique du nord et de l’est de la France. La seconde offensive en juin déclenche, elle une véritable panique et jette sur les routes, huit à dix millions de personnes. Ce sera l’exode, véritable cataclysme humain, qui marquera à jamais la mémoire collective.

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Réfugiés sur une route ayant fuit la zone des combats en Moselle, mars 1940

Le mardi 11 juin 1940, alors que les armées françaises sont en pleine déroute et que les Allemands s’approchent de Paris inexorablement, l’écrivain Paul Léautaud, qui demeure dans un petit pavillon de la banlieu parisienne écrit dans son journal; le jardinier des deux riches propriétaires à côté de chez moi est parti ce matin à pied, avec sa femme et son mioche, leurs affaires dans une bouette, sans trop savoir où ils allaient, laissant là avec les deux bonnes, ses deux vieilles patronnes, Ce qu’il ignore c’est que le couple, originaire des Ardennes, avaient déjà dû quitter son village précipitamment en 1914 pour fuir l’invasion allemande. En ce printemps 1940, le drame recommence. Il part rejoindre sur les routes les dix millions de français, de Belges d'Hollandais et de Luxembourgeois qui, depuis un mois abandonnent leur maison et leur travail pour échapper à la guerre et à l’occupation ennemie. Ce mouvement de population d’une ampleur jamais vue jusqu’alors a tellement frappé les contemporains qu’ils l’on baptisé d’un terme emprunté à l’ancien testament : l’exode.

Lorsque la France se résout à entrer en guerre, le 3 septembre 1939, les pouvoirs publics ont tout prévu pour protéger les populations civiles menacées par les opérations militaires, enfin de ne pas être pris au dépourvu comme en 1914. Des plans d’évacuation ont été établis en juin 1935 et en janvier 1938 : les habitants du Nord et du Pas-de-Calais devront rallier les départements bretons, ceux des Ardennes rejoindront la Vendée et les Deux-Sèvres; ceux du Bas-Rhin seront accueillis en Haute-Vienne et en Dordogne; ceux du Haut-Rhin dans le Lot-et-Garonne, le Gres et les  Basses-Pyrénées. Des départements d’accueil sont également prévus pour les habitants de la Moselle, de la Meurthe-et-Moselle, du territoire de Belfort et ceux des départements proches de la frontière italienne. De même, des zones d’accueil sont créées afin de protéger des bombardements les populations des grandes villes.

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Maison dans un village évacué par ses habitants près de la ligne de front, mai 1940

Ainsi, pour le département de la Seine, chaque arrondissement de Paris et chaque commune de banlieue se voient assigner un département de repli : le Calvados accueillera les habitants des 4e et 5e arrondissements de la capitale, de Colombes, de Puteaux et de Vincennes; la Loire-Inférieure, ceux des 8e, 14e et 18e arrondissements et les banlieusards de Boulogne-Billancourt et de Clamart. Aussi au cours du mois de septembre 1939, 80% des Alsaciens sont évacués d’office dans les départements du sud-ouest; 38 000 écoliers de la région parisienne sont envoyés dans les établissements scolaires éloignés des zones de danger. Toutes ces opérations s’effectuent dans le plus grand calme et l’organisation malgré quelques dysfonctionnemment prévisibles, semble parfaitement fonctionner. Puis la drôle de guerre s’installe et les premières angoisses disparsaissent : signe d’une certaine insouciance, on en vient à décorer les étuits contenant les masques à gaz qui servent ensuite d’accessoires de mode lors des traditionnels défilés de haute-couture.

Le 10 mai 1940, quand Hitler lance ses armées aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg puis en direction de Sedan, les Français ne paniquent pas. Il est vrai que la censure ne permet pas à la population d’évaluer la situation réelle. Les habitants des zones proches des combats sont évacués et lorsque les premiers réfugiés venus de Belgique, du Nord et du Pas-de-Calais passent par Paris, la compassion l’emporte sur l’inquiétude. Certes, quelques parisiens choisissent ce moment pour partir, mais il n’y a pas encore d’affluence dans les gares. Les trains roulent normalement, même si la SNCF a accru le trafic ferriviaire.

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Rassemblement de la population de Thinville avant son évacuation, mai 1940

Les Français attendent un nouveau miracle de la Marne. Les événements se précipitent les semaines suivantes. Le roi des Belges capitule le 28 mai. Les alliés britanniques rembarquent à Dunkerque. Le 3 juin, Paris est bombardé par la Luftwaffe provoquant la mort de plus de deux cents civils. Le 6 juin, les Allemands enfoncent les lignes françaises et l’Italie déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne le 10 juin. La panique commence à s’emparer des populations, qui prennent alors la route, emportant avec elles tout ce que peut contenir une malle, une valise, un coffre ou un toit d’une voiture. Quand, le 10 juin les Parisiens apprennent le départ en province du gouvernement, c’est une véritable ruée : tous ne peuvent prendre le train car les wagons sont pris d’assaut et sont bondés, nombreux sont ceux alors obligés de partir par leurs propres moyens, en voiture, en bicyclette, à pied. Et tous découvrent l’immense fleuve humain, toutes classes sociales confondues, fuyant l’avancée des Allemands. La circulation devient impossible sur la plupart des routes nationales au nord de la Loire. En quelques jours, par vagues successives, bon nombre d’habitants des régions au nord d’une ligne La Rochelle-Genève prirent le départ : la panique et la pagaille devinrent considérables. Bientôt, ces populations affolées se voient mêlées aux militaires en déroute, l’ordre de la retraite ayant été donné le 12 juin par le général Weygand.

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Groupe de réfugiés belges arrivant en gare de Paris dans un convoi, 12 mai 1940

La panique s’accroît encore quand les avions allemands viennent bombarder et mitrailler les longues colonnes de civils rattrapés par la guerre, faisant des centaines de victimes. Lorsque, le 17 juin, le maréchal Pétain, président du Conseil fraîchement nommé, déclare qu’il faut cesser le combat, la nouvelle est accueillie avec un grand soulagement. Mais la population apeurée poursuit sa marche; ce n’est qu’à l’arrivée des premiers détachements allemands juste derrière elle, qu’elle s’arrêtera. Quelques semaines après la débâcle, René Benjamin, écrivain rallié au maréchal Pétain écrit : il y a une hiérarchie qu’on ne s’attendait pas à trouver dans la panique, d'abord on voit passer les riches : grosses voitures, vitesse, ils fuient les premiers, ils ont une peur accélérée. Puis vinrent les véhicules médiocres, bourrés de matelas et de petits gens, puis des camionnettes dont le chargement était étrangement disparate, puis il y eut du calme, du vide et apparurent les bicyclettes l’exode a effectivement touché toutes les classes de la société, et des personnes de tous âges. Ce sont essentiellement des femmes, des enfants, des vieillards les hommes dans la force de l’âge sont pour la plupart mobilisés qui sont partis la peur au ventre : à la peur des bombardements, tous ont encore à l’esprit les raids meutriers sur Madrid et Guernica, pendant la guerre d’Espagne, et ceux plus récents sur Varsovie et Rotterdam se mêle la peur de la soldatesque ennemie, nourrie par la propagande française qui présente l’Allemagne comme un nouveau Hun.

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Convoi de réfugiés sur une route, mai 1940

L’arrivée des populations ayant fuit les régions envahies et les rumeurs qu’elles propagent précipitent la fuite de ceux et qu’elles croisent sur leur passage : rumeurs de massacres, bien que certains, comme le Pas-de-Calais, soient bien réels, rumeurs de trahison la cinquième colonne, stipendiée par l’ennemi, agirait de l’intérieur du pays et au sein même des états-majors. Cependant, la peur et les rumeurs se diffusent différemment d’un lieu à un autre, entraînant des comportements opposés. Ainsi dans deux villages voisins de la Côte-d’Or, Tichey et Bousselange, le premier voit sa population rester sur place, à l’exception d’une famille, tandis que les habitants du second prennent la route de l’exode.

En mai, les pouvoirs publics tentent de réguler le mouvement. Les gendarmes ont reçu des consignes pour canaliser les colonnes de fuyards et les diriger vers les zones d’accueil. Mais en juin, la panique est totale : les services publics abandonnent leurs administrés, les gendarmes leur brigade il n’y a plus un seul gendarme dans 36 départements, les commerçants leur clients et parfois, les médecins des hôpitaux leurs malades. Rester sur place devient difficile. Jean Moulin, alors préfet d’Eure-et-Loir, a décrit dans un ouvrage, qui sera publié après la guerre, le désarroi des habitants de Chartres : la ville, bombardée, n’a plus ni eau ni électricité, les pompiers sont partis avec les pompes précédant de peu les gendarmes. Le préfet réussit malgré toutes les difficultés à réquisitionner une boulangerie pour les Chartrains restés dans leur foyer.

Si certains ont la chance de prendre le train, beaucoup doivent se résoudre à prendre la route en direction du sud sans trop savoir où aller, si ce n’est le plus loin possible. Tous les moyens de transport sont utilisés : automobiles particulières (la panne d’essence obligera souvent leurs occupants à les abandonner sur les bas-côtés des routes),  voitures de pompiers, corbillards, charettes, voitures à bras, bicyclettes. D’autres, plus simplement à pied, poussent devant eux des voitures d’enfants ou brouettes surchargées de bagages. La cohue sur les routes nationales et dans une moindre mesure sur les routes secondaires, le manque d’eau et de nourriture, les  attaques en piqué des Stuka, rendent les conditions du voyage éprouvantes.

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Population civile embarquant à bord d’un train en gare de Thionville, mai 1940

Le passage de la Loire, dernier obstacle pense-t-on avant d’être à l’abri, est atroce : à Orléans, à Gien, à Sully-sur-Loire, les foules se précipitent sur les ponts que le génie tente de faire sauter tandis que se multiplient les bombardements de la Luftwaffe, faisant d’innombrables victimes. Deux écrivains, alors âgés de quinze ans, François Cavanna (Les Russkoffs) et Alphonse Boudard (Les Combattants du petit bonheur), partis de Paris à bicyclette, donneront des berges de la Loire une vision d’apocalypse. Dans cette confusion générale, les familles sont souvent séparées, des enfants perdent leurs parents, des femmes leur mari; de nombreux avis de recherches seront d’ailleurs publiés au cours de l’été. Le désordre permet par ailleurs la transgression des règles sociales : des vieillards se retrouvent abandonnés, des maisons délaissées sont pillées, des réfugiés sont dépouillés par leurs compagnons d’infortune, des cultivateurs profitant de la situation vendent à prix d’or un peu de nourriture ou la paille d’une grange pour dormir. L’exode crée chez ceux qui l’on vécu un véritable traumatisme. Lorsque les combats prennent fin et que l’armistice entre en vigueur le 25 juin. La plupart des populations déplacées se retrouvent dans la zone non occupée par l’ennemi et laissée sous la souverraineté du governement du maréchal Pétain qui fait de Vichy sa capitale. Le gouvernement français encourage les réfugiés à regagner leurs foyers et demande aux autorités allemandes de faciliter ce retour dans les zones qu’elles occupent. La propagande allemande profite de cette occasion pour stigmatiser les gouvernants qui ont déclaré la guerre au Reich en abandonnant à elles mêmes leurs populations et montre une armée allemande compatissante, venant en aide aux réfugiés et allant jusqu’à leur donner de l’essence pour continuer la route. Les Allemands autoriseront également le retour à ses services publics et des gendarmes. Toutefois ils s’opposeront au retour des juifs et des résidents de la zone interdite, celle comprise au sud du nord du Pas-de-Calais, entre la baie de la Somme et les Ardennes. De son côté, le gouvernement de Vichy fait de l’exode une des causes, et non des moindres, de la défaite des armées françaises.

Les colonnes de civils en fuite auraient considérablement entravé les opérations, justifiant ainsi la nécessité de l’armistice, écrit peu après le pétainiste Alfred Babre-Luce, tout en affranchissant l’état-major de ses responsabilités. Ce que refute Jean-Pierre Azéma : la défaite était consommes avant le raz-de-marée sur les routes, et le plus souvent les exodiens suivirent le repli des armées françaises.

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L’exode des familles françaises de 1940

Dans les semaines qui suivirent le retour des réfugiés, ceu-ci, sont bien souvent stigmatisés par la presse aux ordres des autorités d’occupation. Les salopards rentrent, écrit un journal collaborateurs parisien. Le journaliste Lucien Rebatet, dans son pamphlet Les Décombres (1942), décrira avec délectation les routes de l’exode y voyant une preuve de la dégénérescence de la République qu’il exècre. Nous ne sauront jamais combien de Français, de Belges, d’Hollandais et de Luxembourgeois ont été ainsi jetés sur les routes de France. En 1957, l’historien Jean Videnlenc, qui fut le premier à publier une étude sur l’exode, estimait qu’il était impossible de fournir des statistiques fiables. On évalue aujourd’hui entre huit et dix millions le nombre de civils, ayant quitté leur ville ou leur village pendant ces semaines tragiques.

Les éprouvantes années d’occupation et les combats pour la libération, auxquels furent confrontées les populations, rejetèrent au second plan cet épisode jugé peu glorieux : un drame oublié, tout comme le souligne Éric Alary dans son dernier ouvrage.

 

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Population civiles fuyant devant l’arrivée de l’armée allemande, juin 1940

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Une famille s’enfuit en voiture, juin 1940

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Réfugiés dormant dans une église près de Paris, juin1940

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Une famille déjeune à l’abri, sous un camion, juin 1940



20/12/2013
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